La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Henri Demarquette : L'aventurier de l'archet

Vous ne pourrez pas clamer que vous n’étiez pas prévenus, vous devez impérativement retenir le nom d’un grand interprète français : Henri Demarquette. Et - si ce n’est déjà fait - aller à la rencontre de ce jeune virtuose, digne fleuron de la (fameuse) école française de violoncelle. Mais pas que…



© Elian Bachin.
© Elian Bachin.
Né en 1970 et lauréat à seize ans du premier prix du CNSM de Paris (où il est entré sur dérogation à treize ans), le violoncelliste Henri Demarquette, dans une déjà longue carrière, n’a cessé d’intéresser, d’étonner, de passionner : les plus grands interprètes, telle la pianiste récemment disparue Brigitte Engerer, dont il a été un complice au long cours - pour défendre la musique française. Ou encore Lord Yehudi Menuhin qui l’a emmené en tournée en 1992, pour jouer Anton Dvoràk, après l’avoir vu à la télévision.

Les grands orchestres français et internationaux l’invitent régulièrement sur les scènes du monde entier. Et non content d’avoir été formé par le gratin du violoncelle français - Philippe Muller, Maurice Gendron et aux USA, Janos Starker - Henri Demarquette impose tranquillement un parcours atypique, un répertoire qui impressionne. De Bach à Dusapin, de Barber à Saint-Saëns, de Cras à Honegger, entre autres.

La musique contemporaine y tient une large place et le nec plus ultra des compositeurs lui dédient des concertos, tel le superbe "Durch Adams fall" ("Par le chute d’Adam" gravé sur CD) en 1999 - le violoncelliste n’a que 29 ans - d'Olivier Greif. Un concerto lyrique et envoûtant, redoutable à exécuter. Ce dont se rit ce "Prince de l’archet" qui ne met pas en avant plus que cela sa maestria, en interview. Modestie des vraiment grands et sens de l’humour en prime.*

© Anton Solomoukha.
© Anton Solomoukha.
C’est que l’aventurier en lui le dispute au musicien, et n’est rebuté par aucun chemin, fût-il insolite. Des grandes rencontres artistiques du temps de son apprentissage, l’homme se souvient avec gratitude (J’adore Pablo Casals"*) mais ce "terreau"* sur lequel il s’est construit n’empêche pas cet "anti" fils de famille de revendiquer sa totale liberté, loin des lourdeurs des héritages.

Il défend la création contemporaine - une "évidence"*, "le sens de la vie"* d’un musicien - mais il lui faut aussi explorer d’autres territoires, en compagnie de ses vieux complices (Henri Demarquette est un homme d’amitiés fidèles), comme l’accordéoniste Richard Galliano, le pianiste M. Dalberto - pour le répertoire allemand. Et même avec un quintette argentin à Buenos Aires pour jouer des tangos ! Il envisage désormais de jouer Walton, E. Bloch et même de se produire seul avec un chœur, en grand amateur de musique de la Renaissance.

L’homme, qu’on sent intègre, sensible et exigeant - il a choisi un violoncelle de 1697 du facteur italien Goffredo Cappa, c’est tout dire - manie l’archet avec une passion pudique, une technique élégante, une disponibilité totale, ayant retenu la leçon du jeu "rubato" de Pablo Casals. Son jeu a la clarté du discours de l’école française, son absence d’emphase. Mais Henri Demarquette sait communiquer aussi une authentique flamme.

© Jean-Philippe Raibaud.
© Jean-Philippe Raibaud.
Dans la Chapelle Haute du Palais épiscopal, lors des Flâneries musicales de Reims, le 12 juillet dernier, le violoncelliste a su emmener très loin son auditoire avec les "Suites" de Bach, qu’il connaît bien pour les avoir enregistrées dès 2002. La difficulté de jouer souvent une même œuvre - et aussi ardue que celle-là - devient pour lui un nouveau défi à relever à chaque fois, puisqu’il s’agit d’en renouveler, d’en approfondir, d’en expliquer la beauté. Pour le violoncelliste, le cheminement intérieur d’une œuvre qui mûrit en soi est une richesse à partager.

Ce 12 juillet à Reims, il a interprété ces "Suites pour violoncelle seul", écrites à Cöthen entre 1717 et 1723, tenant à expliquer au public la profonde unité et le sens de ce cycle de six pièces, célèbres et pourtant mal connues. Danses et chorals, vrai cycle cosmologique traversant les éléments. Une expérience sensible dans un endroit magique.

Henri Demarquette nous a fait ressouvenir que le violoncelle est l’instrument-substitut le plus proche de la voix humaine. Et le sien a donné raison à Claude Debussy qui trouvait que la musique du vieux Bach se fait "force élémentaire à laquelle rien ne résiste". Ou comme l’a écrit Pascal Quignard** que la musique, c’est l’expérience vécue de la voix perdue de l’enfance.

© Anton Solomoukha.
© Anton Solomoukha.
Fan de Bernard Lavilliers, de Miles Davis et de Björk, ce musicien original, qu’intéresse la voix dans tous ses états, n’est qu’au début d’une riche carrière et nous serons ravis de le suivre. À connaître absolument, vous dis-je !

* Interview disponible sur le site de Qobuz, février 2012.
** "Tous les matins du monde" de Pascal Quignard, chez Poche Gallimard, 1991.

Pour toutes informations et la discographie, voir son site >> henridemarquette.com

Prochains concerts :
● Jeudi 9 août 2012 - Semaines Musicales de Quimper :
Francis Duroy, violon ; Henri Demarquette, violoncelle.
21 h - Chapelle N.D. de Kerdevot – Ergué-Gabéric (Finistère).
"Sonate pour violon et violoncelle", Maurice Ravel ;
"Duo pour violon et violoncelle", Zoltán Kodály.
● Samedi 11 août 2012 - Les Musicales de Cormeilles :
Richard Galliano, accordéon ; Henri Demarquette, violoncelle.
21 h - Théâtre de Cormeilles, Cormeilles (Eure).

Christine Ducq
Mardi 31 Juillet 2012

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024