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Danse

Festival Trente-Trente "Dolgberg" et "Florhof", deux variations inspirées…

Explorateur de genres hybrides, c'est ici à deux manifestes artistiques d'inspiration différente que le Festival des Rencontres de la forme courte nous convie. Si les supports ne sont pas les mêmes - une pratique transversale de la chorégraphie pour l'un, une installation plastique pour l'autre -, les deux artistes partagent la même propension à se connecter à leur expérience intérieure pour exprimer en électrons libres ce qui fait œuvre en eux.



"Dolgberg" © Charlène Yves.
"Dolgberg" © Charlène Yves.
"Dolgberg" de Yaïr Barelli est traversé par les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach dont les petites notes s'égrènent au rythme des improvisations tous azimuts de l'artiste insaisissable. Semblant s'échapper du piano imposant trônant en coin de scène, la partition originelle - qui s'ingénie à développer en boucle les mêmes motifs à peine décalés aboutissant au même point - sert de matrice aux propres évolutions de l'artiste israélien installé à Paris.

Prenant la mesure de ces arias envoûtantes, "pré-texte" et texte de son projet vocal et dansé, le chorégraphe danseur chanteur les "interprète" en transgressant allègrement les frontières entre musique classique vénérable, musique pop déjantée et mimes appuyés au gré de ses fantaisies débordantes de ressources en tous genres. Ainsi, après s'être saisi du pied du micro comme aurait pu le faire Iggy Pop ou encore le chanteur mythique du groupe Queen, Freddie Mercury (avec lequel il cultive une ressemblance physique, cf. la moustache et le marcel), il éructe à pleins poumons avant de "faire corps" avec les notes de Bach… à sa manière "dé-concertante".

"Dolgberg" © Charlène Yves.
"Dolgberg" © Charlène Yves.
Crispant chacune de ses fesses tour à tour, il bat la mesure au rythme de la musique sacrée. Mais loin de s'arrêter là, il persiste dans la veine de son œuvre corporelle à haute puissance expressionniste en sollicitant ses biceps dont les contractions et décontractions n'ont rien à envier aux pulsations d'un métronome. Le meilleur restant cependant à venir… Des tressautements alternés de ses pectoraux rythmiques, à faire pâlir d'effroi l'entre-soi du public des concerts classiques, morceau de bravoure à inscrire dans les anthologies musicales et de salles de sport.

Yaïr Barelli excelle dans son "interprétation" à la fois millimétrée et profondément libre de la partition de Bach. Il peut tout autant chanter et danser sur les pointes que s'emparer d'un extincteur et s'affubler d'une perruque à longs cheveux noirs d'une star de hard rock… Il devient grave lorsqu'il évoque l'histoire de ses grands-parents, Juifs polonais, ayant été contraints de changer de nom pour échapper à l'holocauste. Il rappelle alors que quelque chose de nous est pris dans les rets du signifiant dont on hérite : le patronyme de ses aïeux continue de "résonner" en lui, il est le même - Goldberg - que celui des Variations.

Lui et ses ancêtres, attaches patronymiques archaïques et détachements interprétatifs présents, ainsi il y va des partitions de Bach résonnant à distance sur un clavecin à deux claviers. On part là encore du point des origines pour revenir, après un long cheminement aventureux, au même point : la boucle est bouclée… À nous maintenant d'en interpréter notre propre partition sur le clavier personnel de nos envies, rien n'étant jamais achevé… comme l'avait voulu en son temps le divin cantor en écrivant ses Variations Goldberg.

"Florhof" © Benjamin Begey.
"Florhof" © Benjamin Begey.
"Florhof (Jardin des fleurs)" de Billgraben/Benjamin Begey. Lorsque des milliers (environ 15 000) de volants de badminton, patiemment glanés auprès des clubs de la Ligue de Nouvelle-Aquitaine, deviennent matière d'une œuvre artistique, une question affleure : quelles secrètes correspondances électives l'artiste entretient-il avec l'objet élu alliant l'extrême légèreté de ses plumes blanches à la toute relative pesanteur de son extrémité vermillon, propulsant ainsi dans les airs l'assemblage improbable à une vitesse phénoménale ?

La réponse viendra plus tard pour peu, une fois imprégné de l'esprit des lois atemporelles du Feng Shui (littéralement vent et eau) flottant dans les lieux, que l'on se laisse aller à ressentir combien l'espace et le temps réunis dans la même harmonie poétique entretiennent des correspondances avec nos destinées humaines. Art taoïste et art contemporain se recouvrent alors pour "faire sens".

En découvrant l'installation et ses monumentales "sculptures", le voyageur délesté de ses bagages encombrants ("Le Passant de Prague" de Guillaume Apollinaire) est saisi par le dialogue s'instaurant entre l'envoûtante solennité minérale de la Chapelle de la DRAC lui servant d'écrin et l'immaculée conception des œuvres exposées.

"Florhof" © Benjamin Begey.
"Florhof" © Benjamin Begey.
Comme si le lieu attendait depuis longtemps cette visite pour révéler une existence qui patientait là, lovée au creux de ces pierres majestueuses. D'un côté le poids aérien d'une architecture chargée d'Histoire, de l'autre l'insoutenable légèreté de figures animales, végétales ou minérales racontant des histoires, celles de leur créateur en osmose avec son environnement.

En lien avec l'énergie cosmogonique, les serpents, dragons, oiseaux de plumes légères, créés par l'artiste plasticien se mettent "à dialoguer" avec les griffons et autres créatures légendaires ou religieuses ornant voûtes et vitraux de la chapelle. Les volants, constitutifs de ces assemblages construits obsessionnellement dans une démarche méditative au long cours, sont à prendre comme autant de cellules vivantes porteuses de l'ADN des créations-créatures. Ou encore comme des notes voltigeant allègrement, dont l'assemblage forme des partitions et dont l'ostinato constitue le fil rouge les reliant entre elles dans un continuum répétitif.

Ce qui est troublant, c'est qu'il y a là, dans cette œuvre artistique ouverte à toutes les "représentations" (y compris celles de nos propres origines) et interprétations, une richesse abyssale à explorer… pour peu que - pour un temps - le passant s'adonne à un lâcher prise salutaire. Alors, se déconnectant de ses applications numérisées, de ses écrans occultant l'extraordinaire vivacité de ses racines, il (re)découvre - en cheminant à son rythme au travers de "Florhof" - les liens avec le vivant dont il est issu.

Le spectacle "Dolgberg" a été vu dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole (du 8 juin au 3 juillet 2021) à l'Atelier des Marches du Bouscat-Bordeaux, lors de la soirée du lundi 21 juin à 20 h.
L'exposition "Florhof" a été vue dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole (8 juin / 3 juillet) à la Chapelle de la DRAC, 54, rue Magendie à Bordeaux.

"Dolgberg" © Charlène Yves.
"Dolgberg" © Charlène Yves.
"Dolgberg"
Performance - création 2019.
De Yaïr Barelli.

Conception et interprétation : Yaïr Barelli.
Lumière : Yannick Fouassier.
Son : Nicolas Barrot.
Durée : 40 minutes.

Dates prévues de tournée :
24 et 25 septembre 2021 : Théâtre des Abbesses, Paris.

"Florhof (Jardin des fleurs)"
Installation - exposition.
De Billgraben/Benjamin Begey.


Exposition visible du jeudi 17 juin au vendredi 2 juillet 2021, du lundi au vendredi de 14 h à 17 h (entrée libre) à la Chapelle de la DRAC, 54, rue Magendie à Bordeaux.

Yves Kafka
Mardi 29 Juin 2021

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© Jean-François Delon.
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Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

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