La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Pitchouns

Daniel Keene et le pouvoir de l'évocation

"La Pluie", Studio-Théâtre de Charenton, Charenton-le-Pont

La comédienne Marie-Noële Bordeaux nous apporte "La Pluie", une courte pièce de l'auteur australien Daniel Keene, qu'elle choisit d'adresser aux enfants de façon simple et superbe.



"La Pluie" © DR
"La Pluie" © DR
Actuellement en tournée, La Pluie est tombée pendant le mois de décembre sur le Studio Théâtre de Charenton, un lieu aussi atypique que sympathique. Créé à l'origine pour être joué directement dans des salles de classe, ce spectacle est fait de telle sorte qu'il peut s'adapter à n'importe quel lieu et s'est joué dans de nombreuses écoles mais aussi des bibliothèques et bien sûr des salles de spectacle. À la porte de celle-ci, c'est la comédienne qui nous accueille, souriante...

En quelques mots adressés aux plus jeunes, elle nous présente ce que nous allons voir. C'est encore la comédienne que nous voyons. Puis des codes saisissants de simplicité nous font basculer dans la fiction : la mélodie surannée d'une boite à musique, un peu d'argile, appliqué en quelques gestes précis sur le visage et les cheveux. La transformation est faite, la magie du théâtre saute aux yeux des enfants : c'est maintenant le personnage que nous voyons, Hanna.

Hanna est une vieille femme aujourd'hui. Mais il fut un temps où elle aimait se promener. Au milieu d'un champ, on force des gens à monter dans un train. Elle ne fait rien, elle est juste là, et les gens lui donnent leurs affaires avant de monter. Toutes sortes de gens... Toutes sortes de choses... Des lunettes, des cannes, des photos, du linge... Elle ne faisait rien. Elle ne disait rien. Mais elle était là. Témoin muet du dernier départ. Dernière consolation de confier à quelqu'un les vestiges d'une vie qu'on leur arrache. Et Hanna conservait tout, avec soin, dans sa maison. Au cas où ils reviendraient lui réclamer leurs affaires...

"La Pluie" © DR
"La Pluie" © DR
La mise en scène toute en délicatesse de Colette Froidefont mise sur la force du rapport direct entre le personnage et son auditoire, avec le minimum d'artifices. Évoquer, sans représenter... Mais la réussite du spectacle repose essentiellement sur les épaules de son excellente comédienne, dans une proximité rare. Modulant le timbre de sa voix, sortant mille et une chose des poches innombrables de son manteau dans des gestes lents et précis, jouant parfois des différentes possibilités d'un bâton de pluie, elle nous captive complètement. Ce texte magnifique de poésie et de douceur est un conte d'une grande force, d'une grande pudeur, qui s'adresse à tous en faisant confiance à l'intelligence de l'auditeur. Les enfants, du coup, sont ébahis, suspendus aux lèvres de la conteuse, car ils comprennent. Ils comprennent surtout qu'on ne les infantilise pas. L'échange qui suit le spectacle (et qui a duré presque plus longtemps que le spectacle lui-même !) est une explosion de remarques, de questions, de commentaires, menée avec talent par Marie-Noële Bordeaux : on sent son amour pour les enfants et pour le théâtre, et son bonheur, hautement communicatif, d'être ici. Les questions des enfants, d'ailleurs, ont dû se prolonger longtemps après avec leurs professeurs, puis avec leurs parents. Le théâtre retrouve alors toute sa place sociale : il remue, questionne, et surtout, provoque la discussion. Ainsi donc, si on annonce La Pluie dans votre région, n'hésitez pas à aller vous rafraichir en famille sous cette douce ondée. Ce beau moment de théâtre est comme des rails, filant à l'horizon, mais d'un train qui, cette fois, conduirait au bonheur.

"La Pluie"

"La Pluie" © DR
"La Pluie" © DR
Texte : Daniel Keene.
Traduction : Séverine Magois.
Publié aux Éditions Théâtrales.
Mise en scène : Colette Froidefont.
Avec : Marie-Noële Bordeaux.
Durée : 40 minutes, suivi d'un échange avec la comédienne.
Spectacle tout public à partir de 9 ans.

Ce spectacle a été joué du 6 au 16 décembre 2011.
Au Studio-Théâtre de Charenton, Charenton-le-Pont, 01 43 96 21 05.

Du 15 au 16 septembre 2012.
Samedi à 20 h et dimanche à 15 h,
Salle de la Fontaine Martin à Vernou-La Celle-sur-Seine (77).

Mardi 27 novembre 2012.
Scolaire en après-midi, tout public en soirée.
Dans le cadre du 30e Festival Théâtral du Val-d’Oise.
Chapelle de l’Ancien Séminaire, Parc de la Mairie, Montmagny (95).

Contact tournée: 06 82 76 12 01.
>> postures.fr

Mardi 24 Janvier 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024