La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

"Balestra"… Maestria !

Pour le spectacle de fin d'études de la 34e promotion du CNAC (Centre National des Arts du Cirque), Marie Molliens propose une mise en scène dans laquelle les pulsions sont mises en exergue. À travers des ruptures de jeu rythmées, entre autres, par la musique, la gestuelle devient maîtresse d'expressions autant circassienne que théâtrale.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Cela débute par Noa Aubry avec sa roue allemande sur laquelle des exercices d'équilibre sont effectués durant plusieurs minutes avant même que le spectacle ne démarre réellement. Le public attend, de même que les interprètes, habillés en Pierrot, assis en face de la scène sur des bancs. La scénographie est posée théâtralement au travers de ces personnages. Tous identiques, ils incarnent, avec leurs expressions figées, une inquiétude, celle de pantomimes d'un monde dont ils sont en marge.

Une histoire nous est racontée. Ou plutôt montrée, jouée, incarnée. Au fil de la représentation, les artistes évoluent et ne sont plus les mêmes. Ce changement s'opère autant par les costumes que par l'attitude. Un peu glaçante au début, ils ont ensuite de l'allant en se dévêtant du Pierrot qu'ils étaient pour revêtir des costumes avec des couleurs et des tissus plus proches de notre quotidien.

Nos artistes s'expriment au travers de leurs accessoires circassiens tels que la corde lisse pour Alice Binando, l'acrodanse pour Yannis Gilbert ou la roue Cyr pour Jef Everaert. Chaque numéro est expressif dans un "dit" corporel comme, entre autres, le mât chinois avec Pauline Olivier de Sardan, la corde tendue avec Matiss Nourly ou Julien Ladenburger, avec ses jongleries, qui mange à moitié ses balles blanches en lavant le sol. Il est rejoint ensuite par un trio de femmes, un balai serpillière à la main. La gestuelle, les acrobaties et les attitudes deviennent, dans chaque séquence, des reparties théâtrales.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
"En escrime, la balestra est une figure d'attaque qui a pour but de provoquer un changement de rythme chez l'adversaire" comme l'explique la metteure en scène Marie Molliens. C'est à l'image de ce qui s'exprime durant toute la représentation avec ses différentes séquences où la parole s'irrue une fois, en dehors des chants, quand un protagoniste, avec son faux porte-voix, hurle en direction du public aux quatre coins de la salle. On dirait un Pierrot redescendu sur terre et porté par un souffle terrien de révolte et de folie.

La scénographie goutte d'un liquide blanc aux coins du plateau avec un seau qui le recueille. À côté, un autre seau donne l'impression, à dessein, d'un décor monté par les moyens du bord. Pierrot, personnage lunaire, naïf et un peu stupide en contrepoint de Polichinelle, contrebalance cet aspect. Il semble avoir perdu sa naïveté, son côté enfant face à la violence du monde. C'est que nos interprètes se déshabillent de leurs costumes en ne regardant plus la scène, devenue place du monde, de façon froide et indifférente, mais en y entrant et en bousculant de façon pulsionnelle celle-ci.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ça hurle, ça crie, ça chante, ça joue et ça danse aussi dans une synchronisation des jambes et des bras accompagnés de bascules côté gauche et droit. En groupe resserré, les artistes se déplacent, tel un régiment, vers le centre du plateau. Tout est surprise, emportement et pulsion. La musique est très présente. Elle devient le tempo du spectacle avec sa guitare électrique, sa basse, sa batterie, sa trompette, son accordéon et ses violons. Avec son chanteur aussi, avec ou sans son porte-voix.

Ces scènes racontent chacune à leur manière une histoire. Celle d'individus, seuls ou en groupe, un peu désaxés dans leur attitude parfois comme s'ils revendiquaient un droit à dire, à faire en dehors de tout code. Ce qui fait grâce et poésie peut s'arrêter brusquement par une batterie qui part en cascade ou par un cri qui déchire le silence. Nous sommes dans une progression scénique qui procède par saccades et sauts dans une dynamique de jeu où les évènements s'accomplissent par effraction.

Dans chacun des tableaux, ce sont des mouvements, des tempos, des expressions qui se font voir et entendre. Indépendants les uns aux autres et pourtant reliés à un récit, ils oscillent dans des univers aussi contrastés que ceux du cirque, du théâtre et de la musique.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Là, dans les numéros aériens, dont ceux d'Elena Mengoni et Carolina Moreira Dos Santos, place est faite à une mélodie moins heurtée, rappelant celle d'une poésie de l'instant où s'arrêterait pendant quelques minutes l'écoulement des évènements. Ailleurs, c'est un rythme bien plus endiablé qui bouscule les artistes dans des va-et-vient où le physique des corps répond à leur souplesse acrobatique comme dans la bascule coréenne avec Niels Mertens, Thales Peetermans et Tiemen Praats où, entre autres, deux d'entre eux se jettent à une extrémité afin que le troisième puisse se lancer dans les airs pour exécuter des cabrioles.

C'est beau comme de la poésie et relevé comme des pulsions motrices qui bousculent un décor qui n'en attendait sans doute pas moins, tout étant surprise.

"Balestra"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Écriture, mise en scène, lumière : Marie Molliens, Cie Rasposo.
Assistant et assistante à la mise en scène : Robin Auneau, Fanny Molliens.
Avec la 34e promotion du CNAC : Noa Aubry (roue allemande), Alice Binando (corde lisse), Tomás Denis (acrodanse), Jef Everaert (roue Cyr), Yannis Gilbert (acrodanse), Julien Ladenburger (jonglerie), Marisol Lucht (roue Cyr), Elena Mengoni (trapèze ballant), Carolina Moreira Dos Santos (tissus), Matiss Nourly (corde tendue), Pauline Olivier de Sardan (mât chinois), Niels Mertens (bascule coréenne), Thales Peetermans (bascule coréenne), Tiemen Praats (bascule coréenne).
Contributeur : Guy Périlhou.
Regard chorégraphique : Milan Hérich.
Conseiller artistique : Jacques Allaire.
Création musicale : Éric Bijon.
Création sonore : Fabrice Laureau.
Création costumes : Solenne Capmas, assistée de Madeleine Davies.
Assistant création lumière : Théau Meyer.
Régisseuses animalières : Silène Martinez ou Aline Revilla.
Régie générale : Julien Mugica.
Régie plateau : Guillaume Bes.
Régie lumière : Vincent Griffaut ou Laura Molitor.
Régie son : Gregory Adoir.
Tout public à partir de 7 ans.
Durée : 1 h 10.

Du 25 janvier au 19 février 2023.
Du mercredi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Espace Chapiteau, Parc de la Villette, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com

Tournée
Du 7 au 9 avril 2023 : Festival Spring, Cirque-Théâtre - Pôle National Cirque de Normandie, Elbeuf (76).
Du 21 au 23 avril 2023 : Parc de la Patte d'Oie, Le Manège - Scène nationale, Reims (51).
Du 12 au 14 mai 2023 : dans le cadre des "Soirées d'Éole", Cirk'Eole, Montigny-lès-Metz (57).
10 et 11 juin 2023 : Parc de Parilly, Festival utoPistes (en partenariat avec Les Nuits de Fourvière), Lyon (69).
30 juin, 1er et 2 juillet : Cie Rasposo, co-accueilli avec les Scènes nationales Espace des Arts-Chalon-sur-Saône, L'Arc-Le
Creusot et Le Théâtre-Mâcon, Moroges (71).

Safidin Alouache
Lundi 6 Février 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024