La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Cercle égal demi-cercle au carré" Une mathématique créole d'avant-garde : la valeur ajoutée de l'humain

À plus d'un titre, la chorégraphie de Chantal Loïal et de sa Compagnie, Difé Kako, recèle de richesses dansées, musicales… et humaines. Projet initié voilà déjà plusieurs années, le temps nécessaire pour documenter les traditions de Guyane, Guadeloupe, Martinique, Cameroun, Gabon et France métropolitaine, avant de les mettre en tension pour - sans rien ôter à chacune de son originalité singulière - construire une œuvre multiculturelle les sublimant. Dépassant son intérêt purement artistique, déjà remarquable, cette création créole ouvre vers les horizons d'attente d'une humanité… sans murs, aux antipodes des actuelles dérives conservatrices.



© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
L'art, généreux, nous fait toucher du doigt ce que non seulement pourrait mais devrait être l'humanité : une confrérie s'enrichissant de ses différences au lieu de les brandir comme des épouvantails générateurs de rejets. Le titre énigmatique de cette performance prend alors un premier sens : loin de se réduire au plus petit dénominateur commun, les éléments composant le cercle s'ajoutent pour projeter "puissamment" vers une autre dimension.

Le second sens est à trouver dans les figures des danses proposées. Ainsi du quadrille équestre qui "quadrille" les déplacements au sol. Ainsi des lignes de contredanses où cavaliers et cavalières s'échangent selon un rythme immuable. Ainsi des jaillissements hors cadre du hip-hop et du voguing apportant leur modernité. Ainsi des lignes flottantes se formant et se déformant au gré des trajectoires en quête de rencontres agrégeant traditions et modernités, les unes et les autres remodelées, enrichies. Tout n'est que mouvements visant à créer des nappes visuelles jusqu'au point d'orgue de la formation de la figure du cercle, forme parfaite par excellence mais non close, chaque regard le composant étant dirigé librement vers l'extérieur.

© Peggy Fargues.
© Peggy Fargues.
Danses traditionnelles revisitées, fondues entre elles, et fusionnant avec les danses urbaines contemporaines dans un "tout monde" où communauté et identité riment avec universalité au lieu de s'exclure mutuellement. Chorégraphies multiculturelles s'accordant avec celles des musiques du monde jouées en live. Ainsi les chachas, instruments de musique traditionnelle de Martinique fabriqués à partir d'une calebasse, la flûte antillaise, l'accordéon, les percussions et les samples électroniques cohabitent à leur tour pour donner naissance à une musique universelle.

Les paroles s'envolent, paroles tissées de désir, de liberté, paroles se faisant l'écho des menus faits et gestes de vies minuscules s'étayant pour devenir clameur d'un peuple-monde fier et libre ayant su (dés)intégrer, pour le dépasser magistralement, "l'héritage" d'un colonialisme esclavagiste. Tandis que défilent sur le grand écran dressé en fond de scène des images de la mer (ré)unissant ces territoires ultramarins dans le même paysage-monde.

Quant aux costumes, ils réalisent aussi ce dépassement entre tradition et ouverture sur un mode en devenir. Aux éclats lumineux de turbans en madras aux couleurs éclatantes et de robes antillaises recomposées, s'ajoute le blanc immaculé du street dance contemporain. Les cartes des frontières vestimentaires et des symboles qui s'y attachent s'en trouvent allègrement rebattues. Ainsi en va-t-il de cette culture créole… à cultiver comme un viatique dans un monde qui part à vau-l'eau.

© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
Invités ensuite par l'ensemble Irawo et la chanteuse Ceïba (chantre des traditions franco-cubaines) à se rendre en procession dans le Salon de Musiques pour l'ouverture du Kout Tanbou - joute musicale d'improvisation -, les spectateurs, envoûtés, sont gagnés par les rythmes bèlé interprétés par l'association L'A. Cosmopolitaine de Bordeaux, Liyannak et Kalou Gwoka de Toulouse et l'Ensemble Difé Kako de Paris. Concert convivial, débordant de vie et de générosité, en parfait "accord" avec les prémices offertes. On ne pouvait mieux espérer pour conclure cette très belle soirée créole, vécue comme un hymne vibrant au rêve éveillé d'une humanité multiculturelle.

"Cercle égal demi-cercle au carré"

© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
Chorégraphie : Chantal Loïal, assistée de Delphine Bachacou.
Collaboration artistique : Sabine Novel, Igo Drané, Nita Alphonso.
Avec : Stéphanie Jardin, Sandra Sainte-Rose, Chantal Loïal, Delphine Bachacou, Régis Tsoumbou Bakana, Léo Lorenzo, Diego Dolciami, Mario Pounde.
Doublures : Stéphane Mackowiack, Ludivine Mirre.
Musiciens : Gaëlle Amour, Elise Kali, Yann Villageois.
Doublures : Marion Buisset, Damien Groleau.
Composition musicale : Damien Groleau, Didier Léglise et Gaëlle Amour.
Scénographie : Olivier Defrocourt.
Costumes : Marine Provent, assistée de Gwendolyn Boudon.
Vidéo : Yutaka Takei et Christian Foret.
Lumières : Paul Argis.
Par Chantal Loïal/Cie Difé Kako.
Durée : 1 h 15.
À partir de 5 ans.

Vu le vendredi 12 novembre 2021 au Rocher de Palmer à Cenon (33) dans le cadre du Festival Le Mois Kréyol, 5e édition du festival des langues et des cultures créoles.
Le festival se déroule du 9 octobre au 28 novembre 2021 à Paris, en Île-de-France, à Strasbourg, Mulhouse et, pour la première fois, à Nantes et Bordeaux.
Et ensuite du 11 au 30 janvier 2022 en Guyane, Martinique et Guadeloupe.
>> lemoiskreyol.fr

© Patrick Berger.
© Patrick Berger.

Yves Kafka
Mercredi 24 Novembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024