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Danse

"Saison (ou)verte" au Carré-Colonnes : côté jardin et côté cour, la mise en scène d'un même art de vivre

Nature et Culture, indéfectiblement liées l'une à l'autre, sont au cœur de ce mois d'arpentage tous azimuts décliné en balades "spectaculaires" et causeries philosophiques sur le territoire irrigué artistiquement par le Théâtre du Carré-Colonnes. Si Jean-Jacques Rousseau au Siècle (dit) des Lumières proférait sans ambages "L'état de réflexion est un état contre nature, l'homme qui médite est un animal dépravé", nos contemporains, sur une autre planète certes, s'accordent à reconnaître que les diversités biologique et culturelle sont étroitement interconnectées au point de s'étayer mutuellement pour fonder le creuset du vivre ensemble.



Balade Engagée © Pierre Planchenault.
Balade Engagée © Pierre Planchenault.
Ainsi Opéra Pagaï et la Scène nationale Carré-Colonnes, unis dans le même trip, ont créé un Jardin Secret (Jardin d'Épicure accueillant les causeries philosophiques) où les habitants, conviés en avril à semer des graines de poésie dans un pot à leur nom, découvrent - le printemps venu et avec lui la réouverture des théâtres - l'œuvre féconde de la terre au travail, prodige de fertilité naturelle elle-même transcendée par le récit décalé des numéros de Newslaitue, une feuille de chou abreuvant les boîtes mails. Côté jardin et côté cour, on ne pouvait rêver mieux pour célébrer un retour à la vraie vie… naturelle et culturelle.

Dans ce droit fil écolo-artistique, plusieurs week-ends d'affilée, cinq balades à thème (engagée, sauvage, habitée, animale et immobile) sont proposées aux curieux de tous horizons appâtés par la découverte des mondes sensibles. La première - Balade engagée - a eu lieu ce dimanche, à "La Vacherie", ferme urbaine et culturelle proposant, entre autres, de succulents fromages… de brebis. Après lecture par Sylvie Violan d'un morceau choisi emprunté à Christian Bobin, "Le plâtrier siffleur" - court récit porteur de la question existentielle "comment habiter poétiquement le monde ?" et résonnant comme une invitation au voyage -, on chemine dans des sous-bois ombragés débouchant sur une esplanade.

"Ce qui m'est dû" © Pierre Planchenault.
"Ce qui m'est dû" © Pierre Planchenault.
Première escale artistique… "Ce qui m'est dû", création de la bien nommée Débordante Compagnie, propose une décoiffante épopée matinée d'humour sur le monde comme il va… ou ne va pas, plus exactement. Partant de la petite histoire remastérisée pour la circonstance de la danseuse, chorégraphe et coauteure, la performance parlée et dansée remet en jeu le cheminement intimiste d'une jeune femme née au début des années quatre-vingt et ayant arpenté - d'abord en victime consentante puis en citoyenne critique - les stations du chemin de croix néolibéraliste.

Conçu comme un haletant récit d'apprentissage, on suit les évolutions de cette trajectoire personnelle entrelacée de références empruntées entre autres à Christophe Boltanski ("Minerais de sang"), à Jean-Marc Jancovici ("L'Avenir climatique"), ou encore à Hervé Kempf ("Notre-Dame-des-Landes"). Le ton n'est jamais didactique ou même militant, le contenu étant toujours incarné au travers de situations "théâtrales" où excellent les talents chorégraphiés des deux acteurs donnant chair aux mots dansés.

Participant de plain-pied à l'économie "spectaculaire" de moyens – cf. le "Théâtre pauvre" prôné par Jerzy Grotowski -, le décor constitué de deux chaises exalte "la fête des corps", corps porte-parole des désirs se cognant aux violences faites par la marche du monde.

"Solo Cheval" © Pierre Planchenault.
"Solo Cheval" © Pierre Planchenault.
La mise en jeu, faisant alterner voix et danse, crée elle aussi un effet d'écho troublant (il parle, elle parle, quand il prend la parole, elle danse) introduisant une distanciation dont s'empare à son insu le regardeur pour y accorder son histoire. Ainsi, happé par ce thriller qui voit une petite fille passer du Quartier Latin aux barres de Vitry-sur-Seine, et dont l'itinéraire va croiser les sirènes de la consommation avant de déciller les yeux sur ce qu'elle recouvre - une exploitation sans scrupules des ressources planétaires et des esclaves modernes qui produisent "les biens de consommation" -, le spectateur devient acteur de la performance. Quant au final, un tango plein d'allant, il fait résonner en chacun cette phrase d'Emma Goldman : i["si je ne peux pas danser, je ne ferai pas partie de votre révolution"]. Alors on danse ?

La deuxième escale, un solo dansé, nous attend de retour au bercail (où veille le somptueux paon du domaine)… "Le Cheval" de Seydou Boro, "l'homme-cheval", est à vivre comme un bluffant pas de deux entre lui et l'animal qu'il incarne. Aux accents de son corps puissant épousant les pas scandés d'un cheval, il s'approprie les mouvements élégants et fiers de sa monture fantasmée. Son corps entier - le port de tête, la nuque, les épaules, le torse, le bassin et les jambes, jusqu'à l'eau ressortant par les naseaux - vibre au rythme de son mentor, le cheval. Il devient, il est, la bête plus humaine que l'humain.

"Le printemps est inexorable", Pablo Neruda l'avait pressenti, la saison(ou)verte le confirme.

Découverts dans le cadre de la Saison (ou)verte du Carré-Colonnes, "Balade engagée" du dimanche 6 juin 2021 à La Vacherie à Blanquefort (33).

"Ce qui m'est dû" et "Le Cheval"

"Ce qui m'est dû" © Pierre Planchenault.
"Ce qui m'est dû" © Pierre Planchenault.
"Ce qui m'est dû"
Chorégraphie : Héloïse Desfarges.
Écriture : Héloïse Desfarges, Antoine Raimondi et Jérémie Bergerac.
Mise en scène : Jérémie Bergerac.
Avec : Héloïse Desfarges et Antoine Raimondi.

"Le Cheval", solo chorégraphié
Chorégraphie et interprétation : Seydou Boro.
Musique : Seydou Boro.
Régie son : Mickaël Françoise.

4 autres balades sont programmées
Réservation sur >> carrecolonnes.fr

Dimanche 13 juin 2021 : Balade sauvage, Bois de Tanaïs à Blanquefort, avec Thomas Ferrand, artiste botaniste, et Emanuele Coccia, philosophe maître de conférences à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.

"Solo Cheval" © Pierre Planchenault.
"Solo Cheval" © Pierre Planchenault.
Dimanche 20 juin 2021 : Balade habitée, Station orbitale - Bois des Sources à Saint-Médard, avec Marlène Rubinelli-Giordano, artiste acrobate, et Mazarine Pingeot, écrivaine et professeure agrégée en philosophie à l'université Paris 8.

Dimanche 27 juin 2021 : Balade animale, Bois d'Isssac à Saint-Médard, avec David Wahl, comédien-conférencier, et Sophie Geoffrion, philosophe de terrain et fondatrice de Philoland.

Vendredi 2 et samedi 3 juillet 2021 : Balade immobile, Forêt du Parc de Majolan à Blanquefort, dans le cadre des Nuits des Forêts, avec Julien Fournet et sa performance "Amis, il faut faire une pause".

Balades complétées par les Causeries Philo "Faire fleurir les idées", dans le Jardin Secret du Carré à Saint-Médard, les 7, 18, 19 et 28 juin 2021, animées par Sophie Geoffrion, philosophe de terrain, fondatrice de Philoland et du Cabinet de Philosophie, et auteure de l'Éloge de la pratique philosophique.

Gratuit sur réservation sur >> carrecolonnes.fr

Yves Kafka
Vendredi 11 Juin 2021

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024