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O Sidera, un appel sidérant de beauté au divin et au Cosmos

L'Ensemble Irini, un jeune ensemble aux chanteurs emmenés par Lila Hajosi, livre un superbe album, O Sidera (Ô Cieux), composé des "Prophetiae Sibyllarum" et de Pièces de Constantinople de Roland de Lassus.



L'ensemble vocal Irini (c'est-à-dire "la Paix" en grec) fondé en 2014 par la mezzo Lila Hajosi présente ici un programme rare pour quintet vocal a cappella : l'occasion de découvrir deux chanteuses (Eulalia Fantova, mezzo ; Julie Azoulay, contralto) et trois chanteurs (Benoît-Joseph Meier, ténor ; Guglielmo Buonsanti, basse ; Alessandro Ravasio, basse) de haute volée. Un programme rare ? Assurément, mais pas pour cet ensemble qui se voue au répertoire de musiques médiévale, renaissante jusqu'au contemporain dans un arc géographique large reliant Occident et Orient.

Pour son deuxième CD, enregistré idéalement à l'Abbaye de Noirlac, l'ensemble (lauréat de la Cité de la Voix à Vézelay) nous extrait de notre monde bruyant et sombre pour un voyage lumineux au-delà des frontières connues, et nous invite à une "contemplation de sa part d'infini" (sic Lila Hajosi), autrement dit au cœur de la mystique chrétienne du compositeur Roland de Lassus.

Il s'agit donc d'abord des douze sublimes motets du compositeur franco-flamand dans le style "Musica secreta" mêlant échelles chromatiques et diatoniques pour ces "Prophetiae Sibyllarum". Ces oracles repris par Lassus délivrent les prophéties énigmatiques de douze devineresses antiques annonçant la venue d'un Sauveur. Des oracles soigneusement recueillis et traduits en latin depuis le IIe siècle. Une Antiquité qui fascine évidemment la Renaissance : ces sibylles, Michel-Ange ne les a-t-il pas peintes au plafond de la Sixtine ?

Elles furent sans doute admirées par Lassus, alors maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran. Le Prince de la Musique de cette ère, ou "Divin Orlande" célébré par le Prince des Poètes Ronsard, se verra honoré aussi par son nouveau maître, Albert V de Bavière, quand celui-ci s'offre une édition luxueuse de ses chants - sans doute composés entre Rome, Anvers et Munich entre 1554 et 1555. L'ensemble Irini allie ici efficacité dramatique et profondeur expressive, servant avec subtilité et cœur cette écriture contrapuntique.

Les Pièces de Constantinople consistent, quant à elles, en un beau "Chant de mystère" ; une musique byzantine liturgique dont l'ensemble sert admirablement les "ondulations litaniques" dont Lila Hajosi remarque qu'elles transforment l'assemblée des fidèles en chœur angélique reprenant les paroles de Gabriel de l'Acathiste. Après les sibylles, les chanteurs d'Irini se font chérubins à six ailes. Il s'agit toujours de nous faire lever les yeux vers les cieux pour interroger le mystère de l'univers. Notons la hauteur de vue du texte liminaire de son beau projet par Lila Hajosi dans le livret du CD, titré "Un chant sans divertissement", qui en appelle à une écoute exigeante et, disons-le, philosophique - pour un moment empreint de spiritualité. Qu'on soit croyant ou pas. Un concert avec ce programme est prévu à la Philharmonie de Paris le 19 février 2022.

● Ensemble Irini "O Sidera".
Lila Hajosi, direction et arrangements.
Label : Paraty.
Distribution : PIAS Harmonia Mundi.
Sortie : 15 octobre 2021.
>> ensembleirini.com

Christine Ducq
Jeudi 30 Décembre 2021

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Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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© Grégory Juppin.
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Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

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15/09/2023