La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Panthéon de l’histoire"*... laboratoire de notre modernité !

"La Mort de Danton", MC 93, Bobigny, Seine-Saint-Denis

Un grand moment de théâtre samedi à la MC 93. La pièce "La Mort de Danton" de Georg Büchner, grand dramaturge allemand du début du XIXe siècle, nous parle encore en 2012, par son propos et sa modernité. Ce "théâtre de l’histoire", comme l’appelle son metteur en scène Georges Lavaudant, est tout simplement le laboratoire de notre modernité. Avec une grande efficacité.



© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
C’est bien la mission du théâtre, et certains devraient toujours l’avoir à l’esprit (auteurs et metteurs en scène…). Ce spectacle coproduit par la compagnie de Georges Lavaudant et par la Maison de la Culture de Bobigny est passionnant. Il s’inscrit dans nos interrogations politiques et philosophiques du moment - une année d’élections. La traduction de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil était déjà celle adoptée à l’Odéon-théâtre de l’Europe en 2002 par Lavaudant pour sa première mise en scène. Un texte qui impose qu’on le remette à l’honneur dans les grands moments de la vie nationale.

"La Mort de Danton" expose, analyse, rêve deux moments de la Révolution française : le duel terrible entre Robespierre et Danton au printemps 1794 (l’an II de la Révolution), quelques mois après la mise en place du Comité de Salut Public avec sa politique de la Terreur, et ensuite la marche à la mort de Danton avec ses compagnons.

Si la pièce reprend quelque peu (comme le faisait aussi le "Danton" du film d'Andrzej Wajda en 1983) les grandes scènes anthologiques de "l’Histoire de la Révolution française" d'Adolphe Thiers parue au début du XIXe siècle, beaucoup de scènes sont très originales. Produits du cerveau d’un jeune génie précocement disparu (avant ses 24 ans). Qu’on repense aux scènes à la dimension cosmique où les personnages soliloquent et hallucinent le néant de leur condition : le monologue de Robespierre à l’acte I, scène 6. Ou les dernières scènes de l’acte IV, à la Conciergerie, qui voient Danton et ses amis méditer ou s’affoler devant la perspective concrète d’une mort trop proche.

© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
Ecrite à peine quarante ans après les événements racontés (la pièce date de 1835), l’œuvre témoigne de la noblesse et de la nécessité d’un théâtre politique qui s’efforce de rattraper les faits dans un style fait de rapidité et de simplicité. Une écriture, un langage dramatique qui ringardisent instantanément – comme me le faisait remarquer un ami avec son brio habituel !– tous les auteurs français de la même période, les soi-disants révolutionnaires romantiques à la Hugo ou Musset (en exceptant Lorenzaccio peut-être).

Sur les ruines du Romantisme allemand et des Lumières, Georg Büchner jette les bases du théâtre moderne en posant un regard très neuf sur le monde. Mais ce théâtre ne sera ni lu ni joué avant longtemps (la République de Weimar à la fin du XIXe siècle seulement) : imaginez que le jeune homme originaire de la Hesse est le créateur de "Woyzeck", pièce inachevée devenue un opéra d’Alban Berg au XXe siècle, sur la déréliction métaphysique d’un soldat ordinaire. La condition nouvelle du prolétaire !

© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
Réfugié à Strasbourg, militant révolutionnaire poursuivi par la police de son "pays", dans "La Mort de Danton", Büchner médite sur l’histoire, l’action politique et ses conséquences, et sur la place de l’homme dans le monde. Influencé par Shakespeare, il récuse par une scénographie d’avant-garde (et le refus de la rhétorique en usage) Schiller et tous ses devanciers. Il mêle les registres burlesque et tragique, et la réflexion philosophique alterne avec les scènes cruelles ou oniriques. Les scènes d’intérieur succèdent aux scènes d’extérieur (redoutable défi pour le metteur en scène !) dans une technique déjà cinématographique.

Le génie de Georg Büchner réside dans la manière dont il nous intéresse aux destins des frères ennemis, Danton et Robespierre. Comment il nous passionne et nous bouleverse en exposant les affres, les motivations des actions, des pensées de tous les personnages célèbres ou non. Près d’un siècle avant Freud, le médecin Büchner (car il l’était aussi) épie et révèle les grands mouvements psychiques des hommes : la fascination du néant sous les appétits, le doute et la culpabilité sous les habits de la vertu.

© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
Et quand la décision d’arrêter Danton et ses amis est arrachée à un Robespierre pris de vertige, par Saint-Just l’ange sévère de la "régénération", tous les protagonistes prennent conscience de la vanité, de l’inconséquence et des impasses de l’action politique, même menée au nom du bonheur des hommes. Prophétisant les grandes catastrophes du XXe siècle, "La Mort de Danton" clame comme jamais le danger des idées, des systèmes, et celui, extrême, des grands discours.

Georges Lavaudant et ses acteurs sont à la hauteur des enjeux de la pièce. Chapeau à Patrick Pineau, un Danton, qui fait oublier (et oui !) le prodigieux Gérard Depardieu dans le même rôle (au cinéma). Il restitue par son jeu toute la complexité du personnage et son émouvante humanité. Et quel tribun au Tribunal révolutionnaire ! Enfin un acteur avec un vrai charisme.

Frédéric Borie en Saint-Just est beau et effrayant à souhait. On goûte fort Frédéric Constant en Lacroix, escroc séduisant et plaisant. On est toujours heureux de retrouver sur scène le talentueux François Caron dans le rôle d’Hérault de Seychelle, comme Philippe Morier-Genoud.

© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
Une réserve cependant quant à Gilles Arbona dans le rôle de "l’Incorruptible" : son jeu monolithique, raide, sa diction et son âge ne servent guère les nuances de caractère du personnage. C’est la tragédie d’hommes jeunes qu’on nous raconte, et un débat intérieur authentiquement büchnérien.

La mise en scène, les lumières sont précises, les solutions pertinentes pour les innombrables changements de lieux. Elle atteint au sublime dans les scènes finales avec la projection sur voile d’extraits du "Napoléon" d’Abel Gance (sur le Comité révolutionnaire), et les choix judicieux quant à la représentation des exécutions. Les costumes de Brigitte Tribouilloy confondent subtilement époques et pays (tout en restant jolis), nous rappelant l’universalité du propos. À voir d’urgence !

* Acte I (Danton).

"La Mort de Danton"

© Victor Tonnelli/ArtComArt.
© Victor Tonnelli/ArtComArt.
Texte : Georg Büchner.
Traduction : Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil.
Dramaturgie : Daniel Loayza.
Mise en scène : Georges Lavaudant.
Assistante à la mise en scène : Fani Carenco.
Avec : Gilles Arbona, Astrid Bas, Louiza Bentoumi, Frédéric Borie, Patrice Bornand, Jean-Michel Cannone, François Caron, Frédéric Constant, Camille de Sablet, Jean-François Lapalus, Roch Leibovici, Émilien Marion, Philippe Morier-Genoud, Fabien Orcier, Patrick Pineau, Julie Pouillon, Jean-Philippe Salério, Anne Sée, Bernard Vergne.
Décor et costumes : Jean-Pierre Vergier.
Réalisation costumes : Brigitte Tribouilloy.
Son : Jean-Louis Imbert.
Lumières : Georges Lavaudant.

Pièce créée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le 25 avril 2002.
Nouvelle production MC93 Bobigny, MC2: (Grenoble) et LG théâtre.
Durée : 3 h et entracte 20 min.

Du 9 mars au 1er avril 2012.
Lundi, vendredi et samedi à 20 h, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30.
Relâche mercredi et jeudi.
Théâtre MC 93, Bobigny, Seine-Saint-Denis, 01 41 60 72 72.
>> mc93.com

Christine Ducq
Mercredi 14 Mars 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

Balade équestre dans l'univers singulier de Bartabas… et de Zingaro, un théâtre pour les chevaux

Forte de quarante ans d'observation de la compagnie Zingaro, de ses évolutions et métamorphoses, ainsi que d'une écoute attentive des murmures émanant de la relation entre Bartabas et ses chevaux, Fabienne Pascaud nous offre une exploration aux confins de la création équestre pour découvrir les sources originelles et intimes de son art au cours de douze grands chapitres, chacun scrutant un aspect différent de la pensée créatrice de cet artiste visionnaire.

"Cette créature mi-homme mi-cheval surgit de nulle part et éructant tel un fou sur les pavés de la ville était peut-être un des ultimes avatars d'Antonin Artaud (1896-1948). Bartabas sortait des légendes et des songes. Et nous ramenait au royaume des légendes et des songes."

C'est en 1978, lors de son premier Festival d'Avignon, que Fabienne Pascaud découvre Bartabas. Pour ce dernier, c'est l'époque "Cirque Aligre", après le Théâtre Emporté et avant Zingaro. Surnommé Bartabas le Furieux, il véhicule déjà une certaine folie, à la fois créatrice et unique, et une grande curiosité. Sa créativité va très vite puiser son inspiration dans la richesse de l'ailleurs, dans les différents aspects du monde…

Et ses spectacles, au fil des années, deviennent des fééries troublantes, voire envoûtantes. C'est ce personnage original et inventif que Fabienne Pascaud nous raconte, nous donnant quelques clés pour mieux comprendre, mieux approcher les métamorphoses de la compagnie Zingaro et révéler ainsi le langage, les pensées fondatrices qui, dans l'imaginaire de Bartabas, écrivent les chorégraphies équines et les univers artistiques qui s'en dégagent.

Gil Chauveau
17/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024