La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

Ilya Rashkovskiy, peintre fantastique des "Tableaux" de Moussorgski

À l'automne 2016, un CD et un concert sont venus rappeler que le plus parisien des pianistes russes, Ilya Rashkovskiy, est un artiste passionnant dont on guette avec bonheur chaque événement. Ses "Tableaux d'une exposition", composés par Modeste Moussorgski en 1874, encadrés par des œuvres de Tchaïkovski et Rachmaninov, composent un envoûtant portrait du pianiste parvenu à la maturité.



Ilya Rashkovskiy, né à Irkoutsk, vit à Paris depuis quelques années - une circonstance d'importance avec ce dépaysement propice à la réévaluation d'un répertoire du pays qu'on porte en soi, chéri dans l'âme. Le jeune prodige, célèbre pour avoir raflé quelques-uns des plus grands prix internationaux, est devenu un artiste très attachant, dont les qualités sont exhaussées tant par la science de la maturité que par une sensibilité rare. Avec ce nouvel enregistrement, il peut ainsi établir un premier bilan de son parcours artistique.

Un bilan sous forme de programme dans son excellent et nouveau CD autour des "Tableaux d'une exposition", joués par lui depuis 2009. Le pianiste russe a choisi de les encadrer avec deux pièces de Tchaïkovski en guise d'introduction, l'élégiaque "Doumka" et "Romance" connus dès l'enfance, avec l'"Élégie n°1" opus 3 suivie de la "Sonate n°2" de Rachmaninov en conclusion, jouées depuis l'adolescence : bref, un parcours de vie et la volonté de partager une vision de ce qui se fonde encore et toujours dans l'héritage du grand piano russe.

Des œuvres écrites entre 1874 et 1913 (avec la version de la sonate de Rachmaninov révisée en 1931) qui donnent à voir le vaste paysage de l'âme russe en de tantôt brillantes, tantôt émouvantes toiles sonores. Toiles que le jeune pianiste enlumine de magnifiques couleurs grâce à un jeu subtil, et un dialogue superbe des mains gauche et droite. Climats et humeurs, de la mélancolie à la jouissance expressive la plus débridée, se succèdent, se mêlent, se répondent avec une sonorité ronde, poétique, artiste en un mot.

La virtuosité réelle, jamais envahissante, nourrit le grand théâtre des passions romantiques (chez Tchaïkovski et encore chez Rachmaninov), mais aussi celui de cette visite d'une exposition des œuvres de l'ami de Moussorgski, trop tôt disparu, le peintre et décorateur Victor Hartmann, avec ses scènes quotidiennes, ses légendes fantastiques slaves et son humoresque incursion européenne. Un voyage en France ("Limoges - le marché"), en Italie ("Cum mortuis in lingua mortua") qui s'achève par le défilé maestoso de "La Grande Porte de Kiev", ponctué par de sublimes "Promenade(s)", si belles ici.

Dix tableaux qui puisent leur énergie et leurs atmosphères dans la tradition folklorique (la Pologne de "Bydlo"), dans la musique de scène ("Ballet des Poussins dans leurs coques"), dans le grotesque des aperçus de la vie ("La Cabane sur des pattes de poule") mais aussi dans l'imaginaire avec la sorcière "Baba Yagà", personnage qui avait déjà irrigué l'inspiration du sabbat d'"Une nuit sur le Mont Chauve" en 1867.

Avec son sens inné de la complexité des détails mais aussi une indéniable maîtrise des architectures (confirmée avec cette superbe sonate n°29 "Hammerklavier" en concert, en novembre, salle Gaveau), Ilya Rashkovskiy se révèle maître en clarté comme en surprises dans ces miniatures aux teintes changeantes, ne faisant qu'un avec ce Steinway qui sonne magnifiquement à l'enregistrement. Un pianiste au parcours passionnant, dont on n'a pas fini d'aimer la ferveur et l'exigence.

● Ilya Rashkovskiy "Moussorgski, Tchaïkovski, Rachmaninov".
Label : La Mùsica.
Distribution : harmonia mundi.
Sortie : octobre 2016.

Ilya Rashkovskiy, piano.

Christine Ducq
Jeudi 12 Janvier 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024