La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Dance me"… Des chorégraphies faisant corps avec l'univers poétique et musical de Leonard Cohen

Il nous a quitté le 7 novembre 2016, mais reste encore très présent parmi nous, comme tout grand compositeur. Depuis les années soixante, Leonard Cohen a réussi à traverser les époques en mariant sa poésie au pop, puis à la musique du monde. Sur une idée originale de Louis Robitaille des Ballets Jazz de Montréal, le metteur en scène Éric Jean propose, dans "Dance me", des chorégraphies multiples où s'entrecroisent les chansons de Leonard Cohen ainsi que sa présence.



© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.
En 2015, Louis Robitaille, alors directeur artistique des Ballets Jazz de Montréal, décide de créer un ballet autour des compositions de Léonard Cohen (1934-2016). Chose faite depuis 2017, le spectacle existe. Et encore aujourd’hui.

Le plateau est baigné par des lumières en clair-obscur. Dans les différents tableaux qui s'y déroulent, se détache très souvent la silhouette d'un homme avec son chapeau et habillé d'un pardessus. C'est celle de Leonard Cohen, incarné. Nous retrouvons aussi son image projetée en arrière-scène. Sa présence est autant vocale que corporelle, autant poétique que musicale, autant physique que symbolique.

Nous sommes au carrefour d'une rencontre entre la danse, le chant et la musique, de celle aussi avec un artiste qui a marqué son époque par un cheminement propre où son verbe était porté par son lyrisme et une voix grave, très typique, et à rebrousse-poil des courants musicaux de ses différentes décennies même s’il s’en est inspiré.

© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.
Les chorégraphies se décomposent en multiples configurations où nous retrouvons des duos, des trios, des quatuors et des danses de groupe. Il y a une homogénéité artistique dans laquelle les corps se meuvent, ondulent les uns aux autres ou à même le sol, pour ensuite reprendre de la hauteur. Les appuis sont des équilibres glissants dans lesquels tout est torsade, rectitude et courbure. Souvent de biais, à l’horizontal, les danseurs ont des gestuelles dans lesquelles équilibre et déséquilibre, horizontalité et verticalité, courbure et droiture alternent. Les corps se tendent, prennent appui les uns aux autres sur les troncs et les thorax quand les gestes sont élancés et étendus.

Les lumières ombrées, voire semi-obscures, participent à donner une atmosphère de recueillement, presque de gravité sans pour autant ne pas laisser apparaître des lumières beaucoup plus chaudes et vives dans certains tableaux, comme celui où les membres uniquement inférieurs des danseurs se donnent à voir dans une gestuelle synchronisée où ceux-ci s’étendent pour se plier et se déplier, de façon géométrique, sur toute la longueur de l’arrière-scène.

© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.
Plus loin, ce sont des interprètes qui sont lancés puis rattrapés dans des gestuelles où leurs poésies épousent une kyrielle de directions et de vitesses. Le spectacle est un puzzle dans lequel chaque partie devient presque autonome à elle-même, les tableaux étant souvent très différents les uns des autres tout en gardant une homogénéité artistique.

Nous sommes sur des plans longitudinaux, horizontaux et verticaux, une vue à 360° où les chorégraphies semblent prendre une approche photographique, comme un besoin de montrer et d’être montré, de façon autant poétique que chirurgicale tant la précision est au rendez-vous. Les mouvements sont parfois décomposés dans des oscillations de vitesse allant du ralenti au rapide, du vif au reposé.

Leonard Cohen est omniprésent. Il apparaît parfois physiquement, sans que ce soit jamais lui, avec un interprète qui l'incarne ou plus loin dans une vision projetée en arrière-scène et de façon un peu virevoltante. Et c'est enfin et surtout ses chansons, seize au total, composées de 1967 à 2016, qui accompagnent tout le spectacle avec, entre autres, "Hallelujah" (1984), "So long, Marianne" (1967), "Suzanne" (1967), "Famous Blue Raincoat" (1971) et "Dance me to the end of love" (2009).

© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.
Les deux dernières chansons précédemment listées sont chantées respectivement par un danseur et une danseuse accompagné(e) simplement à la guitare quand, pour toutes les autres, elles le sont par Leonard Cohen en off. Cette rupture leur donne une présence corporelle au travers de ces jeunes visages, autant masculin que féminin, comme un espace ouvert au futur pour une œuvre qui, selon son auteur, voulait que ses chansons soient conçues comme des "Volvo" de manière à traverser le temps.

Un très beau spectacle qui mêle une série de cocktails artistiques où les gestes font corps avec les mots poétiques et la musique.
◙ Safidin Alouache

"Dance me"

© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.
Musique : Leonard Cohen.
Chorégraphie : Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa, Ihsan Rustem.
Sur une idée originale de Louis Robitaille.
Dramaturgie et mise en scène : Éric Jean.
Assistante mise en scène : Elsa Posnic.
Direction musicale : Martin Léon.
Conception musicale : Alexis Dumais.
Conception scénographie : Pierre-Étienne Locas.
Direction technique scénographie : Alexandre Brunet.
Conception lumières : Cédric Delorme-Bouchard, Simon Beetschen.
Conception vidéo : HUB Studio, Gonzalo Soldi, Thomas Payette, Jeremy Fassio.
Conception des costumes : Philippe Dubuc.
Direction artistique : Alexandra Damiani.
Réalisation des costumes : Anne-Marie Veevaete.
Régie sonore : Guy Fortin.
Directeur technique : Marco Vargas Navarro.
Durée : 1 h 20.

Spectacle ayant eu lieu du 27 septembre au 5 octobre 2024.
Théâtre national du Châtelet
>> chatelet.com

Tournée
3 décembre 2024 : Espace Jean Legendre, Compiègne (60).
5 décembre 2024 : La Maison, Nevers (58).

© Thierry Dubois Cosmos Image.
© Thierry Dubois Cosmos Image.

Safidin Alouache
Jeudi 10 Octobre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024