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Théâtre

"Borderline[s] Investigation #1" Vraie-fausse conférence déjantée sur une planète qui ne tourne - vraiment - pas rond !

"Et pourtant elle tourne", aurait murmuré Galilée, contraint par l'Inquisition à abjurer sa théorie de l'héliocentrisme jugée iconoclaste par l'Église d'alors. Quatre siècles plus tard, les obscurantismes aveugles ont muté, avançant masqués, mais toujours aussi vivaces si l'on en juge à l'aune des déclarations "hors-sol" des puissants de ce monde réunis à Davos.



© Mathilde Delahaye.
© Mathilde Delahaye.
Heureusement, un trublion du nom de Frédéric Ferrer, auteur, acteur et géographe, entouré sur scène d'une troupe de joyeux complices prêts à en découdre avec le (dés)ordre régnant, est là pour secouer le cocotier des inerties dans un déluge ludique de vérités… à faire tourner la tête.

Sous couvert d'un show mené tambour battant, à grand renfort de PowerPoint, de saynètes hilarantes jouées par des comédiens décomplexés et de musiques rythmées, le "Premier rapport public du Groupe de Recherche et d'Action en Limitologie" dévoile en trois temps et d'infinis mouvements le résultat de ses travaux - des plus sérieux - sur l'état de la Planète. Et le moins que l'on puisse dire, si l'on s'en réfère à la quête de ce GRAL contemporain, c'est qu'il y aurait quelques soucis à se faire…

Qu'on en juge… En observant les multiples tableaux des marqueurs de la présence humaine et leur corollaire - les impacts délétères sur les autres espèces vivantes, l'Homme étant la première espèce vivante (youpi !)… à être responsable de l'éradication des autres -, force est de constater une croissance exponentielle du dioxyde de carbone et autres productions mettant en péril l'existence même du vivant. En effet, en voulant "à tout prix" trouver des solutions techniques de plus en plus complexes aux problèmes de plus en plus obsédants générés par la course sans fin aux progrès technologiques, il enclenche une spirale sans fin (sauf la sienne…) menant droit dans le mur la Planète Bleue limitée par la finitude de ses dimensions. CQFD.

© Mathilde Delahaye.
© Mathilde Delahaye.
Dans un monde fini, c'est donc pure aporie de pouvoir penser à la possibilité d'une augmentation illimitée de l'exploitation des ressources liées à une consommation sans frein. Plaçant ainsi la question princeps des limites comme noyau du devenir du Monde, le présentateur vedette va faire de la disruption son cheval de bataille, aussitôt enfourché par ses acolytes zélés.

En deux exposés ubuesques - sauf que les faits cités sont rigoureusement exacts - de six minutes chacun, la Norvégienne et le Brésilien vont développer devant nous les aberrations des frontières, limites territoriales aussi absconses que néfastes. Ils précéderont un temps plus long, nécessité oblige, consacré collectivement à l'exploration de la limite des limites, soit l'effondrement de la civilisation (la fin du monde, en langage commun).

Exposés où l'on découvre, ahuris, que la Norvège et la Russie partagent une petite frontière, laquelle, si elle reste interdite au franchissement pédestre, se traverse en toute légalité sur des vélos d'enfants (les moins chers du marché), aussitôt abandonnés et voués aux concasseurs. Ainsi, certains Syriens choisissent-ils le chemin nordique au long cours, plus sûr que celui de la Méditerranée qui les noie… Quant au pont au coût exorbitant reliant la France (Guyane) au Brésil, il sépare les deux rives plutôt qu'il ne les relie, sans compter - anecdote prise sur le vif - qu'il "détruit les pirogues en coupant accessoirement les oreilles des Autochtones".

© Mathilde Delahaye.
© Mathilde Delahaye.
Mis en bouche par ses révélations, on entre dans le vif du sujet avec des chiffres hallucinants "contés" (sic) avec entrain. Avec une hausse de 10°C prévue d'ici 2100, c'est 30 % de la population qui risque de mourir de chaud (les plans canicules pour sauver les vieux semblent des gadgets obsolètes). Quant aux plantes, elles ne mourront pas obligatoirement du réchauffement climatique… risquant fort de disparaître avant sous l'effet de notre espèce invasive qui, à grand renfort de pesticides, décime à tout vent les insectes pollinisateurs. Les planches de beaux papillons muséifiés sont là pour nous rappeler… qu'ils ont naguère existé.

Dans ces conditions, qu'une civilisation qui provoque l'effondrement s'effondre, c'est peut-être une bonne chose… L'imagination (au pouvoir) interprète ludiquement les signes avant-coureurs du "grand effondrement" dans une peinture pariétale ornant les parois des grottes de Lascaux. De même, le dramaturge latin Sénèque et sa "Médée" seront-ils convoqués pour nous rappeler que "c'est quand on n'a plus d'espoir, qu'il ne faut désespérer de rien".

Messages d'autant mieux entendus que les saynètes déferlent mêlant "La Falaise de Sénèque" (le déclin sera infiniment plus rapide que la croissance ne l'a été) à la farce inénarrable des dindes se croyant à l'abri du réchauffement climatique (on était à la veille de Noël où leur sort était déjà conclu), ou encore à l'énigmatique et scientifique polémique autour de la disparition des Vikings interrompue par la saga des Schtroumpfs dont l'espèce prolifère.

Cette débauche jouissive d'énergie - au risque parfois d'étourdir le spectateur assailli de tous côtés - débouche sur le constat d'une réelle urgence à trouver d'autres modes de vie, d'autres horizons "habitables"… Mais si les terres sauvages d'antan sont contaminées à jamais par notre espèce invasive, que reste-t-il comme porte de salut ? Mars ? Autant demander la lune.

"Borderline(s) Investigation #1"

© Mathilde Delahaye.
© Mathilde Delahaye.
Écriture et mise en scène : Frédéric Ferrer.
Avec : Karina Beuthe Orr, Guarani Feitosa, Frédéric Ferrer, Hélène Schwartz.
Création lumières et régie générale : Paco Galan.
Dispositif son et projection : Samuel Sérandour et Vivian Demard.
Assistante à la mise en scène et apparitions : Clarice Boyriven, Militza Gorbatchevsky (en alternance).
Images : Claire Gras.
Costumes Anne Buguet.
Production Frédéric Ferrer/Cie Vertical Détour.
Durée 1 h 40.
À partir de 12 ans.
>> verticaldetour.fr

A été joué les 21 et 22 janvier 2020 au Carré-Colonnes - scène conventionnée d’intérêt national art et création, Saint-Médard (33).

Tournée

© Mathilde Delahaye.
© Mathilde Delahaye.
28 janvier 2020 : Le Gallia, Saintes (17).
18 et 19 mars 2020 : Points communs - Nouvelle Scène Nationale, Cergy-Pontoise/Val d’Oise (95).
25 mars 2020 : Mars - Mons arts de la scène, Mons (Belgique).
1er et 2 avril 2020 : La Comète, Châlons-en-Champagne (51).
7 et 8 avril 2020 : La Halle aux grains - scène nationale, Blois (41).
29, 30 avril et 1er mai 2020 : Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne (Suisse).
5 et 6 mai 2020 : L'Hexagone - scène nationale arts/sciences, Meylan (38).
14 mai 2020 : Théâtre Sartrouville Yvelines - Centre Dramatique National, Sartrouville (78).

Yves Kafka
Lundi 27 Janvier 2020

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"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

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© Pierre Gondard.
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© DR.
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