La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"L.A. Dance Project"… Du classique en toute liberté !

"Triade", "Moving Parts" et "Me.You.We.They" de la compagnie L.A. Project, cofondée par Benjamin Millepied, sur une musique du compositeur néo-classique américain Nico Muhly jouée par l'ensemble musical "Le Balcon", ont été présentés du 29 au 31 mars à la Philharmonie de Paris. Dans de très beaux tableaux, toute la puissance créative de Millepied laisse voir une danse classique qui résonne de modernité et de liberté de ton.



© Antoine Benoit-Godet.
© Antoine Benoit-Godet.
"Triade" a été conçu en 2008 pour l'Opéra de Paris en hommage au mentor de Benjamin Millepied, Jerome Robbins (1918-1998). Au démarrage, des interprètes discutent sur le bord de la scène, pure banalité, mais vite balayée car "Triade" est à 1 000 lieues de l'être avec des duos qui alternent à tour de rôle dans de superbes gestuelles courbes et élancées dans lesquelles, entre autres, tours et pirouettes rivalisent de grâce en se greffant sur une composition de mouvements aériens et joliment construits, le corps devenant presque plume.

Les bras s'étirent en jouant de replis et d'une gestuelle ample et élancée qui prend sa source dans les déplacements et les rotations. Derrière cette mécanique où la poésie des formes prend les contours d'une liberté de mouvements, le trombone (Maxime Delattre), le trombone basse (Sébastien Gonthier) et le piano (Alphonse Cemin) assurent un rythme où la composition de Nico Mulhy habille la chorégraphie de son souffle classique.

© Antoine Benoit-Godet.
© Antoine Benoit-Godet.
"Moving Parts" a pour scénographie trois panneaux en arrière-scène sur lesquels sont inscrits des lettres et des chiffres de différentes tailles et couleurs. La composition est complexe dans sa construction, avec des propos artistiques en solo qui se greffent sur une dynamique d'ensemble. Ces sortes d'impromptus donnent à voir une chorégraphie dans laquelle, par moments, le geste d'un danseur déchire à dessein une gestique de groupe en y calquant sa forme et son allure. Ces passages croisés, où une individualité apporte par moment à l'ensemble sa marque, sans être extérieur à celui-ci, mêlent une touche différente à une configuration en vase clos.

Un superbe duo ponctue "Moving Parts" avec des figures au sol où les appuis des pieds et des poings des deux interprètes donnent lieu à un entrelacement corporel où se mêlent des portés et des balancés arrières avec la jambe. Au sol, de multiples figures alternent entre des roulés de dos qui se courbent avec des membres inférieurs qui ondulent et une jambe qui, un moment, fait un lancé au-dessus de son acolyte avec des appuis de main à la taille pour se déplacer, suivi de portés.

© Antoine Benoit-Godet.
© Antoine Benoit-Godet.
"Me.You.We.They" a été créé en collaboration avec tous les danseurs que l'on retrouve sur scène. La touche de Millepied est de pouvoir accoucher de figures classiques qui draguent la liberté de ton du contemporain. Les trois œuvres sont habitées par un croisement entre ces deux approches, créant une relation à l'espace et à l'autre aussi belle de poésie que d'audace artistique. Au sol, dans les airs, lancés ou en appui, les mouvements s'ordonnent selon une relation à l'autre qui s'établit dans une approche ensembliste ou en contre-appui. Pour la première, tous les danseurs sont dans une même dynamique quand pour la seconde, un artiste va à l'opposé de celui-ci tel un soliste dans un orchestre.

Toujours dans les mêmes amplitudes et extensions, il y a aussi des sautés en atterrissage sur le flanc droit d'un interprète où son alter ego arrive en montant ses pieds et en regroupant ses genoux. De très beaux duos s'enchaînent où les mains des deux artistes se rejoignent alors que l'un est au sol quand l'autre est debout ou ailleurs, des membres supérieurs de l'un s'étendent genoux repliés, dos au sol, en direction d'une autre qui appuie, par des va-et-vient circulaires, ses paumes comme un jeu de mains sur les plantes des pieds.

Les trois œuvres ont un socle commun de mouvements en tension, presque relâchés. Il y a un élan dans chaque gestuelle et une grâce portée avec élégance accompagnées par le Balcon, ensemble musical fondé en 2008. Toute une poésie corporelle se dégage avec une sensation de liberté symbolisée par les longs cheveux lâchés de Daphne Fernberger et Courtney Conovan, en écho à une gestuelle très élancée. Superbe spectacle où la danse classique semble être par moment un peu jumelle avec sa sœur contemporaine.

"L.A. Dance Project"

© Antoine Benoit-Godet.
© Antoine Benoit-Godet.
Chorégraphie : Benjamin Millepied.
Musique : Nico Muhly.
Direction : Maxime Pascal.
Costumes : Camille Assaf.
Création lumière : Masha Tsimring.
Installation lumière pour "Moving Parts" : Christopher Wool.
Danseurs : Courtney Conovan, Jeremy Coachman, Lorrin Brubaker, Daphne Fernberger, David Adrian Freeland, Jr., Eva Galmel, Shu Kinouchi, Audrey Sides, Hope Spears, Nayomi Van Brunt.
Durée : 1 h 35 dont un entracte de 20 minutes.

Le Balcon
Pour "Triade" : Maxime Delattre (trombone), Sébastien Gonthier (trombone basse), Alphonse Cemin (piano).
Pour "Moving Parts" : Hélène Maréchaux (violon), Iris Zerdoud (clarinette), Alexis Grizard (orgue).
Pour "Me.You.We.They" : Hélène Maréchaux (violon), Laura Vaquer (violon), Elsa Seger (alto), Askar Ishangaliyev (violoncelle), Héloïse Dély (contrebasse), Claire Luquiens (flûte), Quentin d'Haussy (hautbois), Ghislain Roffat (Clarinette), Julien Abbes (basson).

A été représenté du du 29 au 31 mars 2024 à la Philharmonie de Paris, Paris 18e.
>> philharmoniedeparis.fr

Safidin Alouache
Mardi 9 Avril 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024