La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Souffle", Le vent se lève… Entre intranquillités, pauses et rébellions, Soraya Thomas clôture avec force son triptyque de la révolte

À croire que les rapports entre la nature et l'humain sont si imbriqués qu'ils "impriment" notre vision du monde. Soraya Thomas, chorégraphe réunionnaise, a hérité de son île natale l'impétuosité volcanique du Piton de La Fournaise. Son engagement artistique autour du thème de la révolte et de l'intime (cf. "La révolte des papillons" et "Et mon cœur dans tout cela ?") et contre la menace imminente d'effondrements démocratiques guettant tout particulièrement son département d'outre-mer, fait figure d'une réplique sismique faisant écho aux caldeiras et à leurs volcans effondrés.



© Marie-Julie Gascon.
© Marie-Julie Gascon.
Après s'être frottée au thème de la migration (suite à la percée préoccupante de l'extrême droite dans son île, dès l'élection présidentielle de 2017) avec quatre danseurs sur scène, à celui de la place de la femme noire métisse se mettant à nu (elle-même) pour raconter les résistances d'une vie entière, Soraya Thomas projette maintenant six de ses danseurs sur un plateau balayé par le souffle du vent. En guise de point de capiton à son triptyque sur la violence et l'intime, dans ce dernier volet, elle se propose de tester les capacités de résistance d'un clan soumis à de fortes turbulences extérieures.

Dans le noir complet, un grondement continu, dont la tonalité s'amplifie au fur et à mesure du temps, annonce la possibilité d'un cataclysme. Nos yeux s'habituant à l'obscurité découvrent alors le corps d'une danseuse allongée au sol, inerte, puis d'une autre. La lumière se faisant, d'immenses rideaux de tulle ondulant sous l'effet d'un vent devenu plus léger sont tirés par les quatre autres danseurs redressant les cubes de constructions mises à bas. La vie reprend, et avec elle, le ballet incessant des gestes à mutualiser pour faire cohésion face aux dérèglements d'ordre climatique ou politique mettant à mal l'existence de chacun.

© Marie-Julie Gascon.
© Marie-Julie Gascon.
L'intranquillité qui habite les danseurs se lit dans les regards inquiets. Leur détermination s'affiche dans les postures énergiques où bras défensifs tendus vers l'extérieur dominent. Alternant pauses, ralentis et accélérations, leur danse est un sport de combat dont l'enjeu n'est autre que la survie du clan. Les jeux de lumière oscillant entre éclairage franc et semi-obscurité impriment le tempo de ce corps à corps avec le danger tempétueux. Reprenant leur souffle, au rythme d'une respiration expressive, dans leur costume les faisant confondre, les quatre danseuses et deux danseurs développent une chorégraphie chorale où le soutien – réel et figuré – aux partenaires prend fonction de viatique leur permettant de traverser ensemble ces zones de turbulence.

Parfois l'une d'entre eux craque, faisant entendre un rire glaçant. Aussitôt prise en charge par l'un de ses alter egos l'entourant de ses bras protecteurs, elle reprend pied pour se joindre aux vicissitudes du groupe dont les membres tour à tour s'épuisent, se désarticulent, s'écroulent avant de se relancer de plus belle dans l'action. L'énergie sans faille qui les anime est à mesurer à l'aune du danger qu'ils encourent et leur saine révolte tonitrue jusqu'à nous.

© Marie-Julie Gascon.
© Marie-Julie Gascon.
Pour peu que l'on accepte un temps de lâcher prise, de se dessiller les yeux pour faire face à nos propres terreurs, cette chorégraphie de la violence et de l'intime prend statut de donneur d'alerte résonnant dans notre propre intimité. Ainsi "Souffle", de Soraya Thomas et de ses danseuses et danseurs faisant corps, nous offre-t-il une respiration salutaire de nature à réanimer notre devoir de rébellion. Reprendre ensemble souffle pour ne pas capituler devant les dangers menaçant notre "humanité".

Vu le vendredi 22 mars à La Manufacture CDCN de Bordeaux.

"Souffle"

© Marie-Julie Gascon.
© Marie-Julie Gascon.
Pièce chorégraphique tout public à partir de 10 ans, Création 2022.
Chorégraphie : Soraya Thomas,
Avec : Maëva Curco-Llovera, Sarah Dunaud, Amélie Pialot, Claudio Rabemananjara, Jules Martin, Manon Payet.
Conception scénographique : Frédéric Dussoulier, Soraya Thomas.
Construction scénographique : Frédéric Dussoulier, Cédric Perraudeaux.
Création lumière : Christophe Bruyas.
Création musicale : Thierry Th Desseaux
Musicien : David Fourdrinoy (percussions).
Voix : Sabine Deglise.
Régisseur général : Frédéric Dubreuil.
Costumes : Chloé Petitpierre.
Par la Cie Morphose.
Durée : 55 minutes.

Représenté le vendredi 22 mars à La Manufacture CDCN de Bordeaux (33)

Tournée
Jeudi 28 mars 2024 : Teat Champ Fleuri, Saint-Denis, La Réunion (974).

© Marie-Julie Gascon.
© Marie-Julie Gascon.

Yves Kafka
Mercredi 27 Mars 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024