La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Jonas Kaufmann : Le ténor qui renverse les foules

Une soirée magique lundi dernier, au théâtre des Champs-Élysées, en compagnie d’un artiste exceptionnel. Jonas Kaufmann porte aux sommets l’art du chant et nous entraîne très haut sur le mont Parnasse de l’excellence musicale !



Helmut Deutsch, Jonas Kaufmann lors d'un récital à l'Opéra de Los Angeles © Robert Millard/LA Opera.
Helmut Deutsch, Jonas Kaufmann lors d'un récital à l'Opéra de Los Angeles © Robert Millard/LA Opera.
Une fois de plus, le ténor dramatique bavarois a enivré le public des accents de sa sublime voix orphique, au timbre de baryton, entre force expressive, puissance vocale et romantisme noir, dans un programme de lieder*. Il est rare d’assister à un tel miracle et s’il ne nous avait pas été donné d’entendre le ténor dans le rôle-titre de Werther à l’Opéra Bastille en 2010, nous n’en aurions pas cru nos oreilles !

L’interprète de lied – ou interprète d’une mélodie intimiste – comme l’acteur de théâtre, se doit d’être brillant pour éviter l’ennui à l’auditoire – "Ennui" tant décrié et à juste raison par C. Baudelaire et C. Debussy ! Et miracle : avec Kaufmann, le lied, vraie pépite d’or, délivre intensément "la poésie du moment"** et a rendu cette soirée inoubliable.

L’engagement de l’artiste en faveur de ce chant se vérifie dans toutes ses entrevues**. C’est l’alliance d’un texte écrit par un grand poète (Goethe, Heine ou Baudelaire) et d’une mélodie, retrouvant les accents de la poésie lyrique grecque chantée. Le programme de lieder, choisi pour cette tournée, compte ceux de F. Liszt, H. Duparc (Ô le caressant legato du phrasé impeccable pour chanter les vers des deux poèmes de C. Baudelaire !) et R. Strauss. Le récital a été l’occasion de délivrer le charme irrépressible, la subtile magie de la présence scénique du chanteur lyrique.

Helmut Deutsch, Jonas Kaufmann lors d'un récital à l'Opéra de Los Angeles © Robert Millard/LA Opera.
Helmut Deutsch, Jonas Kaufmann lors d'un récital à l'Opéra de Los Angeles © Robert Millard/LA Opera.
La complicité avec le pianiste Helmut Deutsch a frappé le public (il était son professeur à l’Académie de musique de Munich). Jonas Kaufmann a souvent fait l’éloge de la difficulté, de la nécessaire subtilité de l’art du chant accompagné d’un seul piano, et aussi de la solitude du liedersänger (ou interprète). Vertus seules qui le font accéder à la "royal class of singing"**. "Royal" est bien l’adjectif qui convient ici, car étonnante est la complicité qui se noue avec l’auditoire.

Jonas Kaufmann a choisi de rendre populaire le lied sur toutes les scènes du monde, parallèlement à sa carrière d’enfant chéri de la Muse de l’opéra. Carrière qui lui a permis d’être ovationné mondialement (du Metropolitan Opera de New York à Bayreuth l’été dernier, où il a chanté le rôle-titre du Lohengrin de R. Wagner).

Donc ce ténor ne veut pas se contenter d’être "un simple" chanteur d’opéra**, même s’il a révolutionné l’interprétation de bien des rôles célèbres. Il n’est qu’à se remémorer son magnifique Don José (dans un Carmen somptueux à Covent Garden à Londres, plus schaupenhauerien que jamais, et récemment son Carlo dans le Don Carlo de G. Verdi à Munich). Il s’est imposé rapidement parmi les tout premiers chanteurs de sa génération par l’intelligence et la compréhension fine de ses prises de rôles, sa présence magnétique et son humanité chaleureuse et sensible. Et Ô Souvenir Pieux et Sacré : son Werther !

Jonas Kaufmann © Uli Webber/Decca.
Jonas Kaufmann © Uli Webber/Decca.
Une demi-heure de rappels et de bis lundi soir au théâtre des Champs-Élysées, voilà qui n’est guère habituel à ce public un brin compassé. Véritable moment de dévotion de la salle, dont certains spectateurs venaient parfois de très loin pour l’applaudir. La soirée a permis une fois de plus de vérifier l’ensorcellement de cette voix sombre, aux capacités semble-t-il infinies, subtile, qui tient les notes comme dans un rêve, agile entre pianissimo et fortissimo.

Quant à la présence sur scène, elle est sobre, à mille lieues des rodomontades fatigantes du ténor gominé d’Epinal – toute en intériorité dense. Quand cette voix s’éteint, quand le piano se tait, un silence impressionnant plane dans la belle salle art déco du théâtre. L’émotion qu’on pourrait toucher … La partie du récital consacrée à G. Mahler fut à mon avis la plus grande.

Comme jamais ont résonné les accents sublimes et déchirants du célèbre lied (grâce au Mort à Venise de L. Visconti) : "Ich bin der welt abhanden gekommen" ("Me voilà coupé du monde"). Moment suspendu pendant le concert, vrai chant de la réminiscence d’un ailleurs introuvable, vrai cri d’une résignation surnaturelle… "Je suis mort au monde et à son tumulte", dont le chanteur bavarois a porté au plus haut la noble formule magique.

Bref ! Auditeur et amant de la musique, vous devez courir entendre Jonas Kaufmann si vous ne le connaissez pas encore. C’est un homme et un artiste hors du commun, le plus exaltant : LE Chanteur du Siècle !


* lieder : ou un lied au singulier est un poème germanique chanté par une voix, accompagné par un piano ou un ensemble instrumental.
** Interview à regarder sur le site officiel du chanteur :
www.jonaskaufmann.com

« Les grandes voix : Jonas Kaufman »

(Vu le lundi 20 février 2012)

Pianiste : Helmut Deutsch.
Ténor : Jonas Kaufman.
Théâtre des Champs-Élysées, Paris 8e.
Tournée de ce récital dans toute l’Europe : www.jonaskaufmann.com

Prochain concert au Théâtre des Champs-Elysées : le 12 mars 2012 avec l’Orchestre symphonique de Birmingham, sous la direction de A. Nelsons (Mahler, Strauss).
>> theatrechampselysees.fr

Christine Ducq
Vendredi 24 Février 2012


1.Posté par Lysiane le 25/02/2012 19:41
Merci merci merci pour ce magnifique article, intelligent, savant, documenté sur ce fabuleux ténor dont je suis la carrière depuis son Werther
parisien. J'avoue à ma grande honte que j'ignorais tout de lui jusqu'à ce fameux soir où, assise dans mon salon devant Arte, est apparu sous
mes yeux écarquillés Werther en personne. Et quand il a commencé à chanter: je ne sais si je veille où si je rêve encore, le plafond m'est tombé
sur la tête; j'ai vécu là un véritable coup de foudre artistique. A la fin de l'opéra, j'étais en larmes...
Le lendemain, j'ai voulu tout savoir sur ce chanteur exceptionnel, j'ai acheté ses CD, ses DVD. Depuis, je suis allée l'écouter à Saarbrück dans
Le Chant de la Terre, à Zurich dans La Bohème, à Londres dans un concert d'arias avec orchestre. Je vais aller à Baden baden où il va donner
la même soirée de Lieder qu' au TCE, et si j'en crois votre article, la soirée sera exceptionnelle. L'écouter en live est une expérience unique, ce
ténor a tout pour lui, et reste simple et très sympathique. Il recueille enfin les fruits d'un travail de longue haleine, creusant son sillon patiemment
et choisissant son répertoire avec discernement. Encore merci à vous d'inciter les mélomanes français à découvrir cet artiste unique.

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024