La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

L'étrange et assourdissant silence de nos encombrants déchets

"Silence Encombrant", Train Théâtre, Portes-lès-Valence (26)

Petit retour sur l'été des festivals avec Teatro a Corte qui fut encore cette année riche en révélations, tant du côté des compagnies italiennes que du côté des compagnies européennes invitées. Le deuxième week-end - ce festival se déroulant sur trois ! - nous a offert quelques petits bijoux dont l'étonnant et dérangeant "Silence Encombrant" de la Compagnie Kumulus.



© Gil Chauveau.
© Gil Chauveau.
Teatro a Corte, le festival turinois créé par Beppe Navello, est toujours source de bonnes surprises, de belles découvertes de spectacles venant de toute l'Europe - avec un coup de projecteur sur la création scandinave pour cette 15e édition - et parfois de retrouvailles bienvenues. À l'affiche cette année, on retrouvait avec plaisir la compagnie française Kumulus - et son spectacle "Silence Encombrant" créé en 2011 - qui se produisait pour la première fois en Italie.

La présence de Kumulus à Turin, dans la programmation de Teatro a Corte, s'inscrit bien dans la démarche innovatrice et ouverte à toutes les formes d'expressions artistiques de Beppe et de sa dynamique équipe. Cette présence de la troupe de Barthélemy Bompard prenait aussi tout son sens avec le lieu choisi de la représentation : l'un des parkings du Château de Rivoli, demeure royale devenue depuis 1984 Musée d’Art contemporain. Réputé pour son accueil d'artistes très "modernes" voire avant-gardiste (si ce terme a encore un sens !) et de performances in situ novatrices, le Musée de Rivoli ne pouvait qu'accueillir avec bienveillance "Silence Encombrant".

© Gil Chauveau.
© Gil Chauveau.
Spectacle engagé, pamphlet anti-société de consommation, réflexion anti-capitaliste - Bompard n'a jamais caché l'orientation militante de son travail -, "Silence Encombrant" n'en est pas moins une véritable composition artistique et esthétique donnant à l'espace urbain une dimension de cimaise où sont "posés" à la fois le jeu et ses acteurs et les éléments plastiques complétant l'action dramatique.

L'ensemble ainsi associé - humains (clown, gendarme, prostituée, poète, facteur, ménagère de plus de, etc.) et objets (globe terrestre, capot de voiture, cage à oiseaux, poupée, machine à laver, escabeau, etc.) - donne, dans de subtiles et variées nuances de gris, un spectacle muet - mais non sans sons - rappelant les films en noir et blanc dont nous gratifia le cinéma expressionniste allemand dans les années vingt-trente.

Le théâtre de rue distillé par Kumulus est un théâtre éminemment politique, une expression réflexive sur la cité, sur le monde et ses égarements, une posture profondément dérangeante où l'acte de jeu agit en miroir de nos propres attitudes, de nos errements et des dérives de notre société dite "civilisée".

© Gil Chauveau.
© Gil Chauveau.
Centré sur nos déchets, sur les obsolètes/déclassés accessoires de la société de consommation, les encombrants exposés sur le macadam par Kumulus superposent tout ce que l'on jette : éléments matériels et matériaux construisant notre société "bancable" par l'unique existence de ceux-ci et ceux dont on se débarasse - humains débris, décomposés, oubliés, inadaptés... objets désincarnés.

"Silence Encombrant" nous donne à voir et à entendre la profonde solitude des êtres et leur perte de folie régénératrice ; et l'esquisse apocalyptique de ce monde que nous transformons chaque jour en l'immense dépotoir de nos illusions perdues.

Aujourd'hui, la compagnie a mis en route une nouvelle création, "Naufrage" (titre provisoire), basée sur le tableau du radeau de la méduse que Barthélemy Bompard a choisi pour aborder l’échouage de notre bateau "démocrapitaliste". La compagnie sera du 28 octobre 2014 au 14 mai 2015 en résidences de création dans différents Centres Nationaux des Arts de la Rue et dont la diffusion débutera à "Quelque p'Arts..." (Centre National des Arts de la Rue - Scène Rhône-Alpes) à Boulieu-lès-Annonay (07) du 19 au 25 mai 2015.

"Silence Encombrant"

Théâtre gestuel et sonore.
De : Barthélemy Bompard.
Mise en scène : Barthélemy Bompard, assisté de Nicolas Quilliard.
Inventé et interprété par : Dominique Bettenfeld, Barthélemy Bompard, Jean-Pierre Charron, Céline Damiron, Marie-Pascale Grenier, Dominique Moysan, Nicolas Quilliard, Judith Thiébaut.
Travail corporel : Judith Thiébaut.
Travail sonore : Jean-Pierre Charron.
Création des costumes : Marie-Cécile Winling et Catherine Sardi.
Conception et construction des décors : Dominique Moysan.
Technique : Simon Bilinski et Djamel Djerboua.
Maquillage : Sophie Ghizzo.
Tout public. Durée 1 h 30.

© Gil Chauveau.
© Gil Chauveau.
18 octobre 2014 à 16 h.
Train Théâtre-Scène Rhône-Alpes, Parking du Temple, Portes-lès-Valence (26).
>> train-theatre.fr

>> kumulus.fr

Gil Chauveau
Mardi 14 Octobre 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024