La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "Adolphe" On lutte quelque temps contre sa destinée, mais on finit toujours pas céder*

J'ignore quelle est la destinée de la comédienne Dominique Scheer-Hazemann qui, dans cet(te) "Adolphe" excelle de toute sa justesse, sa force et sa sensibilité, mais nul doute que la place qu'elle occupe, du corps au cri du cœur, sur scène, est définitivement la sienne.
Seule au plateau dans cette salle du Petit Louvre à Avignon, elle ne vient pas nous raconter sa vie ou ses éventuelles difficultés à devenir comédienne, elle propose une relecture (risquée) du roman de Benjamin Constant : "Adolphe".



© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Une relecture mais, surtout, une adaptation, avec cette particularité, non des moindres : dans le roman de Benjamin Constant, Adolphe est un homme, mais le public de la salle Van Gogh découvre, lui, une femme.

Pour des raisons personnelles et justifiées, lues en diagonale dans son dossier, la comédienne a pris le chemin de la féminisation et elle aurait eu tort de s'en priver. Je vais donc prendre son parti et troquer le "lui" pour "elle" au long de ce papier.

Adolphe est donc une femme qui tombe amoureuse d'une autre femme.
Adolphe s'ennuie dans la vie. Elle mène une existence qu'elle nomme "d'insipide" au cœur d'une jeune bourgeoisie et n'a pas encore une grande expérience de la vie.

Adolphe cherche à plaire à son père bien qu'elle semble vouloir échapper à une certaine rigidité. Car ce père a l'apparence dure et paraît mettre les convenances et le comportement social très au-dessus des sentiments.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Adolphe est un(e) être fermé(e) qui ne se manifeste en société qu'avec l'esprit un tantinet caustique, méprisant avec une fierté toute assumée. La faute à qui ?

Adolphe, femme ou homme, cela m'apparaît bien égal. Toutes et tous rencontrons le bien et le mal. Toutes et tous ne guérissons pas des blessures de l'enfance d'un coup de baguette jeté sur un ou une dévolue.

Pourquoi Adolphe est attirée par cette autre femme ? Parce que chez cette femme – Ellénore –, il y a quelque chose d'Adolphe mais aussi une faiblesse, une vulnérabilité qui, une fois déclarées, font la faire vaciller. Universalité.

Qu'elles soient des "Adolphe", des "Virginie", des "Paul" ou "Valérie", l'amour et tous ses tourments, ses fragilités jusqu'à sa perversité, sont des sujets qui, toujours, pourront être traités.

"Adolphe" est du genre vaniteux. C'est une capricieuse. Elle veut "jouer" et lorsqu'elle a ce dont elle rêvait, elle devient mauvaise, méprisante pour ne pas dire, méchante. Tournant le dos à celle qu'elle a presque suppliée.

Mais, finalement, dans cette histoire d'hier qui résonne tant aujourd'hui, cette addiction qu'est l'amour passion et qui parfois finit par tuer, il y a toujours cette même question : d'où vient-elle et à quel moment cela a vraiment commencé ?

Adolphe est magistralement interprétée par Dominique Scheer-Hazemann et, oui, c'est une (sacrée) femme qui, de surcroît, n'oublie pas de remercier sa mise en lumière parfaitement maîtrisée par Guillaume Rouchet.

* Benjamin Constant.

"Adolphe"

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Création 2023.
D'après l'œuvre de Benjamin Constant.
Adaptation : Dominique Scheer-Hazemann.
Mise en scène : Émilie Chevrillon.
Avec : Dominique Scheer-Hazemann.
Costume : Corinne Rossi.
Création lumière : Guillaume Rouchet.
Par les Promeneurs de Rêves.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 19 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre Le Petit Louvre, Salle Van Gogh, 23, rue Saint-Agricol, Avignon.
Réservations : 04 32 76 02 79.
>> theatre-petit-louvre.fr

Isabelle Lauriou
Samedi 22 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024