La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"L'Étranger"… danse avec Camus

"L'Étranger", Théâtre de la Ville, Paris

Gallotta reprend de façon intime "L'Étranger" de Camus avec des chorégraphies mêlant un rapport à l'autre et à l'espace tissé d'attirances et de rejets dans des corps méfiants, voire étrangers, à eux-mêmes et au monde dans lequel ils évoluent.



© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Gallotta est un chorégraphe qui aime allier confidences, musique et vidéo. Cette fois-ci, il associe la littérature à la danse en choisissant pour terreau artistique "L'Étranger" de Camus. Le corps d'un récit, tout à la fois intime et littéraire, est mêlé à celui des danseurs.

Le chorégraphe, fidèle à son style autobiographique, raconte sa mère, son amour de l'écrivain Camus et prend à témoin, avant chaque chorégraphie, des extraits de l'œuvre de l'auteur.

Le spectacle débute avec trois danseurs qui, les bras levés et les épaules légèrement tombantes, sont situés aux différents coins de la scène, avançant comme des ombres flottantes, comme des présences absentes, étrangères au plateau.

Les danseurs articulent corporellement le récit, lu en voix off, dans lequel les mouvements des membres supérieurs sont étendus, lancés horizontalement. Ils s'étirent comme pour repousser leur corps vers l'arrière et sont projetés aussi, par une force inexorable, vers l'avant. La danse devient un langage fait de basculements entre retour à soi et expulsion vers l'autre.

© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Ce qui est dansé ne sont pas les personnages, ni les situations. Meursault apprenant la mort de sa mère ou tuant "l'arabe" sur la plage ne sont pas joués sur scène. Ce qui fait sens est ce rapport à soi et aux autres, nourri de la double contradiction du rejet de son corps et d'un rapport à l'autre fait autant d'attirance que d'opposition, pour revenir à son propre corps devenu îlot de sauvegarde.

Les deux danseuses, à tour de rôle, s'agrippent, via des sauts en position assise, sur le tronc du danseur, qui devient un appui, comme un retour aux origines quand celles-ci étaient au départ vers un ailleurs. Fixité contre immobilité. Fuite contre retour, c'est la partition de deux espaces-temps qui s'évitent mais se retrouvent comme aimantés malgré eux.

Les danses oscillent entre vivacité et tempo lent, entre attraction terrienne et impulsion aérienne. Les danseurs(es) sont dans un perpétuel entre-deux. Ils s'évitent pour s'accoler, s'appuient les uns aux autres pour se repousser ensuite.

Et puis, il y a ce film en couleurs, ce moment intime, familial autour de Camus, sourire aux lèvres. Belle image de l'écrivain, du penseur, du philosophe avec ce visage hâlé par le soleil. Il n'était pas étranger à son temps. Il y était en plein dedans, donnant force et voix à ses convictions sur des sujets graves comme le stalinisme dans "L'homme révolté" (1951), se retrouvant voué aux gémonies par "Les temps modernes" et une classe de penseurs. Il s'était retrouvé seul, intellectuellement parlant, à la fin de sa vie. "Solitaire, vous seriez bien seul sans ces solitaires", écrivait-il.

Qu'aurait-il dit aujourd'hui face à une époque dure et mêlée, dominée par la désertion du courage politique et d'intellectuels devenus porte-voix de la peur et du repli sur soi, étrangers aux misères et à l'actualité du monde ?

"L'Étranger"

D'après
le roman d'Albert Camus.
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta.
Assistante à la chorégraphie : Mathilde Altaraz.
Avec
Ximena Figueroa,
Thierry Verger et Béatrice Warrand.
Musique :
Strigall.
Costumes :
Jacques Schiotto.
Scénographie & images : Jeanne Dard.
Lumières :
Dominique Zape.
Durée : 1 heure.

Du 23 février au 5 mars 2016.
Du lundi au samedi à 20 h 30.
Théâtre de la Ville, Paris 4e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Safidin Alouache
Mercredi 2 Mars 2016

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024