La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

Le Vivaldi de grand tonneau d'Ophélie Gaillard et le Pulcinella Orchestra

La violoncelliste Ophélie Gaillard et son ensemble sur instruments historiques fondé en 2005, le Pulcinella Orchestra, offrent dans un nouveau double CD à paraître le 20 mars un saisissant aperçu des concertos pour violoncelle d'Antonio Vivaldi.



On connaît le talent de la violoncelliste française tant comme soliste que chambriste. Dotée d'un tempérament aussi passionné qu'exigeant, éprise d'aventures musicales sur les territoires les plus inattendus, Ophélie Gaillard consacre un nouveau disque à Antonio Vivaldi. Après les sonates du "Prete rosso" sorties déjà avec le Pulcinella il y a quelques années, elle met aujourd'hui en lumière dans ce nouvel enregistrement le paysage riche des concertos du compositeur, d'ailleurs celui qui a le plus écrit pour son instrument. Quel autre compositeur que Vivaldi, ce fils d'un violoniste à la chapelle ducale de Saint-Marc, ordonné prêtre en 1703, méritait mieux un tel hommage ?

En effet, ce pédagogue et virtuose du violon, infatigable et prolixe athlète de la composition, devenu Maître des concerts et du chœur à l'Ospedale della Pietà de Venise (un des quatre couvents et conservatoires pour orphelines, filles illégitimes ou abandonnées), a donné sa forme et sa perfection définitive au concerto de soliste. Vivaldi confirme, par exemple, la composition en trois parties (allegro, adagio, allegro) du concerto, il impose également le dialogue contrasté des tuttis de l'orchestre avec les solis de l'instrument ; il se rend célèbre dans l'Europe entière grâce à un style inimitable - et reconnaissable entre tous avec sa fantaisie, sa vitalité, mais aussi sa veine lyrique parfois plus méditative. Il meurt en 1741 dans la gêne à Vienne alors que Venise l'a rejeté. Après des décennies d'oubli complet, parce qu'il est le musicien que Jean Sébastien Bach a le plus admiré, retranscrit et adapté, les musicologues et le public le redécouvrent en même temps que le Cantor de Leipzig.

Pour comprendre l'évolution de la maîtrise et de l'inspiration du maître vénitien avec ses concertos à géométrie variable conçus pour un violoncelle, deux, et même parfois pour quatre instruments, tels deux violons et deux violoncelles aux prises dans des dialogues et des duels savoureux (écoutez le Concerto en sol majeur RV 575), la chronologie a été plutôt respectée pour cet enregistrement en deux CD. Du concerto pour violoncelle en sol majeur (RV 416) composé à la fin des années 1710 au concerto pour violoncelle piccolo, un des plus tardifs, où le talent de la maturité éclate en un langage des plus aboutis dans les années 1730, les frontières du génie du compositeur se voient constamment repoussées.

Olivier Fourès, membre du Pulcinella Orchestra, a reconstruit par ailleurs pour le deuxième CD le larghetto du concerto pour violoncelle (RV 788) dédié à Teresa (cette jeune orpheline virtuose, une de ses élèves de l'Ospédale della Pietà à qui il dédie au moins trois œuvres). Pour compléter ces différents tableaux d'une carrière riche en œuvres lyriques, Ophélie Gaillard a fait appel à deux chanteuses envoûtantes. La mezzo Lucile Richardot chante pour le premier CD un air ("Sovvente il sole") extrait de l'opéra créé à Venise en 1726 "Andromeda Liberata" pour neuf minutes d'un bonheur que seul peut donner le brocard sombre et magnifique de sa voix.

Ensuite c'est la contralto Delphine Galou qui interprète un air de Vitellia extrait de l'opéra "Tito manlio" (RV 738) créé à Mantoue en 1719. Le violoncelle accompagne encore merveilleusement les mélismes exprimant les tourments de la fille de l'empereur Titus, qui aime l'ennemi de son père. La voix sublime de la chanteuse donne envie de découvrir l'opéra que Vivaldi se vantait d'avoir composé en cinq jours.

Si l'art des membres du Pulcinella Orchestra, souvent solistes ici, se révèle un atout solide dans ce beau et copieux programme, démontrant aussi une merveilleuse entente en continuo - celle de musiciens qui se connaissent depuis longtemps - celui d'Ophélie Gaillard est également un enchantement. Tous exaltent les couleurs des œuvres du Vénitien, ses effets virtuoses, en confirmant qu'ils sont des interprètes de premier plan. Ophélie Gaillard, maniant un archet magique, faisant briller la sonorité admirable de son violoncelle Francesco Goffriller de 1737, dont elle parle comme d'un amoureux qui partagerait sa vie depuis longtemps, nous offre un festival où la technique, le caractère très affirmé et le brio le disputent au pouvoir de dessiner avec subtilité d'effervescentes ou languissantes lignes, desquelles naît la richesse des climats.

● "Antonio Vivaldi, Il colori dell'ombra".
Ophélie Gaillard, violoncelle et direction musicale.
Pulcinella Orchestra.
Label : Aparté.
Sortie : 20 mars 2020.

Prochains concerts (non annulés) :
26 mars : récital à l'église Sainte-Anne, Jérusalem.
7 juin 2020 : un programme Vivaldi du CD sera donné au Festival de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache avec Carlo Vistoli et Pulcinella Orchestra.

Christine Ducq
Jeudi 19 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024