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"Miss Charity" Extrait du best-seller de littérature enfantine, Miss Charity fascine et nous redonne des yeux d'enfants

L'art de raconter une histoire n'est pas chose anodine. Le texte dense de Marie-Aude Murail est un véritable roman d'initiation de plus de cinq cents pages. Il évoque la vie de Miss Charity Tiddler durant l'époque victorienne, un personnage que l'on suit de son enfance jusqu'à l'âge adulte dans l'Angleterre bourgeoise des années 1880. Roman d'émancipation d'une jeune fille dans une société rigide, Miss Charity suit, année après année, les conflits d'une âme rêveuse et libre avec une société rigoriste et moraliste qui destinait ses filles à ne devenir qu'épouse et mère de famille enivrées uniquement de devoir et d'ordre.



© Raphaël Firon.
© Raphaël Firon.
On découvre ainsi le portrait d'une âme solide et solitaire. Fille unique d'un couple de notables coincés, elle sauvegarde la liberté de son esprit imaginatif en se réfugiant dans un grenier où elle passe ses loisirs au contact de toute une floppée d'animaux pas tous très domestiques : souris, hérissons, crapauds, corbeau, lapin forment sa bande de compagnons. Elle réalise par là une fuite très orchestrée loin des humains qui sont souvent étranges, qui sont parfois sauvages, avec leurs paroles pleines de griffes et de mordant, père, mère, domestiques et professeur d'allemand, pour ne citer qu'eux.

Voici donc Charity Tiddler aux portes de la grande fête de la vie qui l'attend avec ses farandoles de bonnes manières et de principes moraux qui lui serviront de guide, ou plutôt d'entrave à sa liberté. Le problème avec elle, c'est qu'elle ne se comporte pas comme elle devrait le faire. Et, par-dessus tout, cette manie de recueillir tout un tas d'animaux et de passer le plus clair de son temps avec eux. À travers le regard de cette petite fille sans préjugés, se découvre la société empesée et triste de l'époque victorienne. On découvre aussi quelques failles dans ce grand classement du correct et du scandaleux. Oui, le scandale resplendit toujours plus fort dans un monde conformiste.

© Raphaël Firon.
© Raphaël Firon.
Adapter cette histoire longue et haletante, voici la gageure que se sont fixés Jean-Christophe Leforestier et Elsa Ritter. En un peu plus de deux heures scindées en deux parties, l'une englobant l'histoire de l'enfance, la deuxième racontant sa jeunesse et sa réalisation dans le monde, Elsa Ritter, seule en scène, va recréer tout l'univers du livre. Un univers aussi dense que sont nombreux les personnages le parcourant. Elle sera Miss Charity à tous les âges de l'histoire.

Vêtue d'une austère robe noire, un chouchou blanc dans les cheveux, elle correspond à l'image de cette époque en noir et blanc. Et pourtant, c'est un feu d'artifice de couleurs et d'émotions que la comédienne va déployer tout au long de la pièce. Vive, précise, et justement sans artifice, elle bondit littéralement à l'intérieur de tous les personnages, qu'ils soient humains où animaux, et leur donne parfois en trois secondes une vérité immédiate. Travail du corps, de la voix, de la posture, mais surtout une précision du détail et des gestes impressionnants imposent aux spectateurs la nécessité de retrouver un regard d'enfant. Regard étonné, emporté, surpris par l'émotion, le rire souvent, la gravité parfois, car tout va très vite, les changements de lieux et de personnages s'enchaînent sans temps morts.

© Raphaël Firon.
© Raphaël Firon.
Elle est seule en scène, mais pas vraiment, en fait. Tout un monde scénographié l'accompagne. Un décor fait de simplicité d'où naît en un geste la magie des images. Des fils tendus où des draps servent tantôt de paravents, tantôt d'écrans à ombres chinoises, un siège, une table, un escabeau, une valise, le cadre d'un tableau. L'espace de jeu, aussi riche qu'un grenier de maison ancienne, est totalement investi suivant les scènes. Le haut, le bas, le lointain, le proche. Mais les éléments du décor qu'Elsa Ritter manipule ne sont pas ses seuls compagnons de récit : une bande-son faite de musique ou de bruitage participe à l'évocation des lieux et des événements.

Puis deux personnages importants viennent aussi jouer avec la comédienne. Deux marionnettes qu'elle manipule avec grâce, qui eux aussi recréent l'univers magique de la jeune femme. Ce sera cet univers qui finira par sauver en quelque sorte l'avenir de Miss Charity. Croquant ses animaux avec de plus en plus d'habileté, elle deviendra illustratrice et autrice de livres pour enfants.

Usant à la fois de moyens simples, mais en usant avec une très grande virtuosité et un sens poétique profond, les deux parties de ce spectacle procurent une sorte de boost de notre capacité d'imaginaire et une euphorie belle, juvénile et sincère.

Vu à l'Anis Gras, Arcueil, le 23 mars 2024

"Miss Charity"

© Jean-Christophe Leforestier.
© Jean-Christophe Leforestier.
D'après "Miss Charity" de Marie-Aude Murail, publié aux éditions "L'École des loisirs".
Adaptation et mise en scène : Jean-Christophe Leforestier et Elsa Ritter.
Avec : Elsa Ritter.
Création lumière : Raphaël Firon.
Par les Cies La Maraude Films et Ça va aller.
Production exécutive : La Maraude Films.
Coproduction : Cie Ça va aller.
À partir de 10 ans.
Spectacle en 2 parties
Partie 1 : "À peine convenable" (durée : 55 minutes).
Partie 2 : "Comment ça ? À quoi bon ?" (durée : 1 h 10).

Tournée
26 avril 2024 : pour des scolaires le matin et l'intégrale le soir, Chirac-en-Lozère/Bourgs-sur-Colagne, communauté de communes du Gévaudan (48).
D'autres dates 2024/2025 en préparation.

Bruno Fougniès
Jeudi 4 Avril 2024

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