La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2023 "Impact d'une course", "Panique olympique" et "Fragments" Acrobatie vertigineuse, chorégraphie XX et art circassien… un cocktail énergisant

Une compagnie suisse ("La horde dans les pavés") et deux de Nouvelle Aquitaine ("Volubilis" et "Bivouac") s'emparent de l'espace urbain partagé, les dalles de Mériadeck et de La Méca, pour l'animer de leurs créations. Si les deux premières revêtent (positivement) un caractère spectaculaire assumé, la troisième, plus introspective, apparaît comme un laboratoire de recherches circassiennes lové dans une salle de La Méca.



"Impact d'une course" © Pierre Planchenault.
"Impact d'une course" © Pierre Planchenault.
"Impact d'une course", de La Horde dans les Pavés, investit la dalle de Mériadeck, gigantesque esplanade urbaine surplombée d'un complexe immobilier abritant tours, bureaux et appartements. Accompagnée par deux complices musiciens non-acrobates, enharnachés de leur encombrant clavier et ayant, entre autre rôle, celui de lier les séquences entre elles par le récit humoristique de leur (in)aptitude à la grimpette, les équilibristes grimpeurs se lancent – avec un aplomb renversant – à l'assaut des terrasses et escaliers dominant le vide minéral. Apparaissant subitement ici ou là, ils défient placidement les lois de la gravité au gré de leurs fantaisies aériennes.

Enchaînant les figures – jetés dans le vide et atterrissages à bout de bras, déambulations aléatoires le long des étroits rebords à pic des toits terrasses, pyramides humaines gravissant les façades verticales à la recherche de balcons suspendus –, ils réalisent d'authentiques exploits acrobatiques ayant de quoi impressionner le promeneur qui, tête en l'air et pieds solidement ancrés au sol, est, lui, pris de vertiges… Leurs prouesses d'altitude ont aussi pour effet de redessiner le paysage urbain afin de le donner à voir de manière inattendue, faisant de ces grimpeurs de l'extrême de "fabuleux" hommes et femmes araignées propres à réenchanter la grisaille de ce lieu où le béton des Trente Glorieuses règne en maître.

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique/Sixième !", de la Cie Volubilis, s'inscrit dans le défi "mégalo-chorégraphique" que s'est donnée Agnès Pelletier, visant depuis 2018 les Olympiades Culturelles de juin 2024, lever de rideau artistique des JO de juillet. Ainsi, depuis pas moins de six années, réunis par le même enthousiasme, près de quatre mille amateurs et amatrices d'âges et de niveaux de pratique très différents mettent leurs pas dans ceux de la chorégraphe afin d'inventer des "tableaux vivants" investis d'un pouvoir communicatif hors pair.

Sur la musique recomposée de la danse des Furies d'Orphée et Eurydice, s'ouvre le bal… par un tableau saisissant de beauté plastique, réunissant plus de deux cents danseurs et danseuses. Se profilant à l'arrière-plan du carré de terre aménagé sur la dalle de la Méca surplombant la Garonne, le groupe ne faisant qu'un bloc compact semble glisser, mû par une force venue du fond des âges le poussant irrésistiblement vers l'aire de jeu occupée par quelques sportifs au look de flambeurs assumés. Suivra la chorégraphie au cordeau du traçage des couloirs, elle aussi particulièrement spectaculaire, avant que plusieurs "épreuves sportives" incarnées avec le même engagement et le même enthousiasme contagieux ne s'emparent du Dance floor.

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
Portés alors par la fanfare techno du groupe Meute, échauffements, vrais faux départs et courses effrénées, battent leur plein… Si nous ne devions retenir que deux tableaux, ce serait celui des slows sportifs renvoyant aux marathons de danse organisés aux États-Unis lors la Grande Dépression de 1929 et rendus immortels par le roman (et le film) "On achève bien les chevaux", et celui des battles livrées par deux équipes s'affrontant à coup de mimiques expressives et de corps à corps au ralenti.

Plaisir palpable des participant(e)s, auquel répond, conquis par l'énergie déployée par les scenarii de ces compositions originales, le plaisir du public venu très nombreux à ce rendez-vous devenu, au fil des ans, incontournable. Un regret cependant… Avant le show très attendu de juin prochain dans la Capitale, cette édition donnée à Bordeaux et dans sept autres villes de la Région sera… la dernière du nom.

"Fragments" © Christelle et Éric Simon.
"Fragments" © Christelle et Éric Simon.
"Fragments", de la Cie Bivouac, trouve refuge dans une salle cosy de l'impressionnant bâtiment de La Méca, à l'abri des bruits et de la fureur urbaine. Aux antipodes de sa dernière création "Lemniscate" – où tout se jouait autour, sur et dans un spectaculaire vaisseau futuriste au design peaufiné, érigé en centre de gravité de la représentation –, ici tout n'est que sobriété et silence feutré. Autour de l'agrès emblématique du cirque qu'est le mât chinois, sonorisé pour l'occasion, deux acrobates et une danseuse accompagnés d'un musicien complice partent à la recherche des vibrations perdues. Entre la matière vibrante du mât et celle vivante de leurs corps en mouvements, un singulier dialogue va s'instaurer, échanges subtils dont nous serons les "écouteurs" privilégiés.

Nietzsche avançait en son temps et dans son domaine, la philosophie critique, que pour construire il convenait d'abord de déconstruire les fausses réalités, lieux des médiocrités convenues. À son échelle, la Cie Bivouac s'en fait l'écho, elle qui choisit délibérément ici de réorienter son travail sur l'infiniment petit, déconstruisant les couches de technicité acquise avec l'expérience. Ce qui va nous être donné à voir et à entendre rompt, en effet, avec le spectaculaire, au risque parfois de déconcerter les attentes.

Comme une pause salutaire, il s'agit – comme le texte nous y invite – à réapprendre à "écouter les mots en équilibre sur les lèvres", à réapprendre à "déchiffrer ce que le corps nous dit". Et pour ce faire, un système de sonorisation, du mât et des corps branchés à des capteurs amplifiant le moindre frémissement de la matière "inerte" et des battements de cœur, va faire entendre la petite musique des profondeurs, là où se joue l'essentiel "invisible pour les yeux" (cf. "Le Petit Prince" de Saint-Exupéry).

Le corps connecté livre alors ses émois en relation avec le vivant des autres corps et l'inerte de la matière réveillée. Le cœur et l'esprit s'emballent et ouvrent d'autres voies que celles déjà tracées… Ainsi, échappant (courageusement) à sa zone de confort, la Cie Bivouac explore de nouvelles ressources propres à renouveler son potentiel créatif, au risque peut-être de laisser parfois le spectateur égaré sur les bords de ce chemin exigeant… Mais peut-il y avoir création artistique sans prise de risques…

Vu "Impact d'une course" le 7 octobre sur l'esplanade de Mériadeck, "Panique Olympique/Sixième !" le 8 octobre sur l'esplanade de La Méca et "Fragments" le 10 octobre à La Méca dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole (FAB).

"Impact d'une course" © Pierre Planchenault.
"Impact d'une course" © Pierre Planchenault.
"Impact d'une course"
Création : Benjamin Becasse-Panier, Cedric Blaser, Constant Dourville, Lili Parson, Clara Prezzavento, Maxime Steffan et Léon Volet.
Avec : Benjamin Becasse-Pannier, Cedric Blaser, Constant Dourville, Lili Parson, Clara Prezzavento, Maxime Steffan, Léon Volet, Amélie Berhault et Luana Volet.
Regard extérieur : Valentina Santori du collectif Protocole.
Costumes : Romane Cassard.
Complices : Jonas Parson et Luana Volet.
Musique originale : Cedric Blaser & Benjamin Becasse.
Durée : 50 min.
Par le Collectif suisse La Horde dans Les Pavés.

Spectacle représenté les 6 et 7 octobre à la Mériadeck de Bordeaux ; le 11 octobre sur le parking de la mairie, square du 19 mars 1962, à Saint-Médard-en-Jalles et le 14 octobre sur la place des Terres Neuves à Bègles.

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique/Sixième !"
Chorégraphie : Agnès Pelletier.
Danseurs et complices Volubilis : Laurent Falguieras, Solène Cerutti, Christian Lanes, Raphaël Dupin, Virginie Garcia, accompagnés d'une communauté d'interprètes amateurs.
Création bande sonore : Yann Servoz.
Costumes : La Ropa.
Scénographie-construction : Julien Lett, Christine Baron, Fred Rotureau.
Régie générale : Guena Grignon.
Durée : 30 min.
Par la Cie Volubilis, Agnès Pelletier.

Autres représentations prévues avant les Olympiades Culturelles de juin 2024 à Paris
16 mars 2024 : Théâtre le Liburnia, Libourne (33).
6 avril 2024 : Festival à Corps, TAP, Poitiers (86).
4 mai 2024 : Théâtre les 3T, Chatellerault (86).

"Fragments" © Christelle et Éric Simon.
"Fragments" © Christelle et Éric Simon.
"Fragments"
Idée originale et mise en scène : Maryka Hassi.
Autrice : Beata Umubyeyi Mairesse.
Assistant à la mise en scène : Benjamin Lissardy.
Avec : Samuel Rodrigues, Benjamin Lissardy et Vanessa Petit.
Concepteur et programmateur sonore : Thomas Sillard.
Bibliothèque sonore et musique live : Yanier Hechavarria Maya.
Créateur et régie lumière : Simon Drouart.
Durée : 1 h.
Par la Cie Bivouac.

A été représenté les 10 et 11 octobre 2023.

Tournée
28 novembre 2023 : Salle Bellegrave, Pessac (33).

FAB - 8e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A eu lieu du 30 septembre au 15 octobre 2023.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Lundi 30 Octobre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024