La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Cion"… Un génial Boléro !

Autour de cinquante-cinq représentations, vingt-huit propositions artistiques et trois semaines de danse, de théâtre, de performances, de cinéma et de musique, le festival de Marseille, pour sa vingt-quatrième édition, démarre très fort avec un Boléro de Ravel revisité par le chorégraphe Grégory Maqoma dans une trame prônant un art total autour du théâtre, de la danse, de la chanson, de la musique et des claquettes pour faire valoir un message de lutte contre l'oppression.



© Siphosihle Mkhwanazi.
© Siphosihle Mkhwanazi.
Il s'est passé quelque chose ce vendredi 14 juin au théâtre de la Criée à Marseille. Un événement comme il y en a peu dans le domaine artistique avec le Boléro de Ravel repris par le chorégraphe sud-africain Grégory Maqoma.

Le plateau est baigné d'obscurité. Un homme avance en pleurant, geignant comme si le malheur du monde venait de s'abattre sur ses épaules. C'est pire que le malheur du monde, c'est celui de la détresse d'un esclave. Les pleurs sont musicalement bien orchestrés comme une mélopée de tristesse, une tragédie presque chantée. Maqoma a été attiré par le personnage nommé "Toloki", le pleureur dans le roman "Ways of dying" (1995) et de "Cion" (2007) de l'écrivain sud-africain Zakes Mda relatant le parcours des esclaves en fuite.

Le zoulou et l'anglais sont liés dans une réminiscence historique où le saut peut être de quelques années avec l'Apartheid qui a sévi en Afrique du Sud (1948-1991) et un peu plus loin avec l'esclavage, deux cousins très proches de la souffrance et de l'indignité humaine. C'est dans une forme de poésie autant orale que corporelle que la représentation déploie toute sa gamme artistique.

© Siphosihle Mkhwanazi.
© Siphosihle Mkhwanazi.
Les chants accompagnent superbement tout le spectacle avec des claquements de mains telles des percussions donnant à ceux-ci de la résonance. Les chorégraphies sont sur deux axes et se complètent dans une synchronisation mêlant des mouvements amples vers le haut via les membres supérieurs quand le corps, pour un autre groupe, va vers le bas dans une gestique plus ramassée.

Le plateau est découpé en trois espaces avec leur pré carré spécifique de danse, de musique et de chants. Côté jardin et en arrière-scène, nous retrouvons ceux-ci en canon ou en chœur dans des tessitures graves, quand se joue côté cour ou en milieu de scène une chorégraphie théâtralisée où les répliques, essentiellement en zoulou, sont lancées dans un rythme musical, appuyé par le corps et les déplacements.

L'isicathamiya, chant a cappella provenant des zoulous d'Afrique du Sud, porte le Boléro de Ravel dans des accents de lutte et de religiosité, presque gospel. Bruitages vocaux apparaissent aussi par intermittence pour donner du tempo au spectacle. La voix devient ainsi le porte-drapeau d'une revendication, celui contre une oppression inhumaine et pour la liberté des consciences.

Des percussions autour du Boléro de Ravel (1928) débutent le spectacle et sont reprises par intermittence tout du long. Comme un refrain, de façon dépouillée, simple, presque artisanale avec un tambourin et ses deux baguettes. Le filtre sonore est chaleureux, avec des accents de lutte et de communion. Une scène très physique nous fait voir des interprètes tapant de toute leur force au sol un voile marron, comme un instrument de travail et d'oppression, à la fois outil pour battre le blé et fouet pour battre le corps.

C'est superbe de rythme et de poésie. Cela finit par des claquettes, les pieds décollant à peine des planches, les effleurant autant par le bruit que par la tape, comme un dernier murmure qui s'éteint après les embrasements vocaux et dansés. Ensuite des applaudissements à tout rompre secouent la salle dans une standing ovation unanime. Cela se passait à Marseille, ville de toutes les cultures et, ce soir-là, de tous les talents.

"Cion : le requiem du Boléro de Ravel"

© Siphosihle Mkhwanazi.
© Siphosihle Mkhwanazi.
Compagnie Vuyani Dance.
Conception et chorégraphie : Gregory Maqoma.
Assistant à la chorégraphie et à la dramaturgie : Shanell Winlock.
Assistant aux répétitions : Lulu Mlangeni.
Direction musicale et composition : Nhlanhla Mahlangu.
Aide à la composition : Xolisile Bongwana.
Costumes : BlackCoffee.
Scénographie et direction technique : Oliver Hauser.
Création lumière : Mannie Manim.
Accessoires : Wesley Mabizela.
Création sonore : Ntuthuko Mbuyazi.
Régie son : Katleho Mokgothu.
Danseurs : Otto Andile Nhlapo, Roseline Wilkens, Thabang Mojapelo, Smangaliso Ngwenya, Katleho Lekhula, Itumeleng Tsoeu, Lungile Mahlangu, Ernest Balene, Nathan Botha.
Musiciens : Thabang Mkhwanazi, Sbusiso Shozi, Simphiwe Bonongo, Xolisile Bongwana.

Festival de Marseille
Du 14 juin au 6 juillet 2019.
36-38, rue de la République Marseille 1er.
Réservation : 04 91 99 02 50
>> Programmation complète
>> Les lieux du festival

Cion en tournée
21 et 22 juin 2019 : Holland Festival, Amsterdam.
Dates à confirmer : Dance Umbrella Festival, Londres.
14 au 18 janvier 2020 : Prototype Festival, New York.
24 et 25 janvier 2020 : Kennedy Centre, Washington.

Safidin Alouache
Mardi 18 Juin 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024