La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

"Écrits dans une sorte de langue étrangère" Le bel objet dédié à Marcel Proust

Le Trio George Sand et ses invités rendent hommage au génie de Marcel Proust, l'écrivain musicien, intercesseur de notre époque, dans un beau livre-CD dédié aux arts.



Anne-Lise Gastaldi © Lyodoh Kaneko.
Anne-Lise Gastaldi © Lyodoh Kaneko.
Écrivain-musicien, c'est ainsi qu'Anne-Lise Gastaldi considère Marcel Proust. Pour la pianiste du Trio George Sand, quoi de mieux que de créer un bel objet (un livre assorti d'un disque) pour célébrer la modernité de Proust, cet ardent défenseur de toutes les formes d'expression artistique ? Et comme miroir tendu à notre époque, quelle meilleure idée que de donner rendez-vous à des écrivains (Belinda Cannone, Elsa Fottorino, Jérôme Prieur, entre autres philosophes, historiens et compositeurs) ?

Franck Jaffrès, l'ingénieur du son et directeur artistique n'est pas en reste. Tous partagent leur passion de Proust et dialoguent avec les musiciens pour enrichir cet hommage très pensé en l'honneur de l'auteur de la "Recherche". Un génie, dont on fête toujours le centenaire de la naissance et qui a tant apprécié l'avant-garde de son temps dans nombre de disciplines. Voici par conséquent un hommage original qui entend conjuguer la culture classique avec des formes plus contemporaines.

Le mélomane éminemment proustien appréciera ainsi un objet faisant la part belle au texte avec des lectures de Comédiens Français, lesdits textes d'écrivains et des œuvres musicales contemporaines créées pour ce disque (ou aux Journées Musicales Marcel Proust, un festival qu'Anne-Lise Gastaldi dirige avec Pierre Ivanoff) par de jeunes artistes.

Le livre n'offre néanmoins pas que des textes puisque ceux-ci sont accompagnés d'images inventées par un collectif de street artistes pensées pour un espace public fantasmé (et photographié) sous la direction de Cyrille Gouyette. Le mélomane amateur d'images mentales aimera aussi l'interprétation inspirée du fameux Trio n° 7 opus 97 "À l'Archiduc" de Beethoven par le Trio George Sand (avec Virginie Buscail au violon et Diana Ligeti au violoncelle) sur le premier disque. Un des meilleurs trios beethoveniens par son inspiration et sa richesse compositionnelle, encadré ici par des lectures envoûtantes de Loïc Corbery d'un extrait du premier tome de la "Recherche" sur la Sonate de Vinteuil et la magie de la première écoute.

Il lit aussi à la fin de cette première partie un fragment du "Contre Sainte-Beuve" sur les réminiscences. Ces "belles choses sur lesquelles nous écrirons (et qui) sont en nous" - réminiscences dont la raréfaction avec l'âge et le temps qui passe peut causer une affreuse stérilité. L'intervention un peu trop emphatique de Clément Hervieu-Léger comme narrateur dans une œuvre de Gérard Pesson plaît un peu moins sur le second CD.

À coup sûr, la musique est dans l'œuvre proustienne une vraie source d'inspiration, tel un véritable faisceau de thèmes développés dans tous les tomes de la "Recherche", avec ses variations, ses inventions polyphoniques, harmoniques et tonales. Anne-Lise Gastaldi cite ainsi les "Carnets" de 1908 dans sa Note d'intention au début du livre : "Le bonheur n'est qu'une certaine sonorité des cordes qui vibrent à la moindre chose et qu'un rayon fait chanter" (ainsi "l'homme heureux" et l'écrivain).

Le style proustien implique donc une écriture musicale. Notons que Proust transforme positivement ici la proposition romantique lamartinienne (l'âme comme lyre mélancolique du monde). Anne-Lise Gastaldi remarque de surcroît que Proust a beaucoup décrit la musique, comme il a fait exécuter dans son appartement les derniers quatuors de Beethoven. Un musicien dont l'œuvre aura été décidément son "principal aliment spirituel" comme il l'affirmera lui-même.

Le second CD veut faire la part belle à la création musicale contemporaine jouée par de jeunes interprètes, parfois compositeurs. Nous y retrouvons Jean-Frédéric Neuburger ("Sehr bestimmt" pour le violon acrobatique d'Aya Kono), Charles Heisser (pour deux "Improvisations"), Philippe Leroux, Mauro Lanza, Gabriel Marghieri, Pierre-Yves Macé - mais aussi Gérard Pesson pour des "Portraits de Musiciens" inspirés des "Portraits de peintres" écrits par Proust et mis en musique par Reynaldo Hahn (plus une "Échelle et infusoire" pour six mains magnifiquement défendue par trois jeunes élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional Alice Delmas, Kim Beroff, Dario Pirone).

On appréciera particulièrement la pièce de Noriko Baba, "Au Pavillon de (Mr) Porcelaine" pour Trio avec piano et soprano. La jeune compositrice propose avec une invention ébouriffante une œuvre très séduisante où jouent tous les états du souffle, de la voix, du chant, du jeu ou du toucher pianistique. La soprano Jennifer Tani, Anne-Lise Gastaldi et le Trio George Sand excellent à créer pour l'auditeur une utopie sonore bucolique, à l'exemple des descriptions proustiennes.

● Trio George Sand "Écrits dans une sorte de langue étrangère".
Label : Elstir.
Sortie : 13 octobre 2022.

Christine Ducq
Vendredi 21 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024