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Concerts

François Dumont, pianiste appassionato

François Dumont poursuit une carrière solide, insoucieuse du star-system, au strict service de son art. Qui pourrait pourtant encore ignorer l'immense talent de ce pianiste passionné, qui trace sa voie avec cohérence et exigence ? Rencontre avec le grand soliste français au Pornic Classic Festival, dont il est conseil artistique au sein du trio Élégiaque.



François Dumont © DR.
François Dumont © DR.
François Dumont est un artiste qui déchaîne l'enthousiasme à chacune de ses apparitions. Lauréat des plus grands concours internationaux, il est, à la trentaine à peine passée, un interprète reconnu dans le milieu très concurrentiel du piano. Pourtant, malgré une carrière tant nationale qu'internationale, il n'a pas encore tout à fait la reconnaissance du grand public qu'il mérite. À cette remarque, François Dumont en souriant nous rappelle que nul n'est prophète en son pays et que ne désirant pas choisir entre les carrières de soliste et de chambriste, il en désarçonne certains.

D'autres ne se trompent pas : il a été choisi par Leonard Slatkin pour l'enregistrement des deux concertos de Maurice Ravel avec l'Orchestre national de Lyon (chez Naxos) et joue avec les meilleurs orchestres. Outre une discographie déjà impressionnante encensée par la critique (en solo ou pas), il enregistre en ce moment l'intégrale des concertos de Mozart avec l'Orchestre Symphonique de Bretagne, qu'il dirige du piano. Deux opus sont déjà en boîte (1) et le second paru récemment constitue une merveille, témoignant de son art admirable : sens poétique intense, coloris nuancés quasiment à l'infini, jeu cantabile et inspiré au service d'une profonde intelligence du détail comme des enjeux des œuvres - une intelligence nourrie aussi de sa pratique chambriste.

© Jean-Baptiste Millot.
© Jean-Baptiste Millot.
Christine Ducq - Comment est née votre collaboration au sein du Trio Elégiaque avec le Pornic Classic Festival ?

François Dumont - Les organisateurs de la saison musicale de Pornic (avec les Concertinos) nous ont invités pour un concert au printemps 2011 et nous nous sommes tout de suite bien entendus. Leur enthousiasme ainsi que l'engagement des élus locaux nous a plu. Nous avons donc été engagés pour la première édition du festival la même année. Le festival s'est développé avec le temps grâce à l'engagement de tous les acteurs de terrain et à l'engouement du public. En tant que conseillers artistiques, nous sommes heureux de cette offre musicalement cohérente et attractive ; nous cultivons le contraste et la variété des programmes.

Vous avez donné une master-classe à des étudiants du conservatoire de Rennes pour cette édition 2017, leur conseillant (je vous cite) de "trouver et cultiver son lyrisme". En quoi le lyrisme est-il important pour le soliste que vous êtes ?

François Dumont - La question du lyrisme est importante. Avec son instrument à cordes frappées, vibratoire, le grand défi du pianiste est d'arriver à créer une ligne, un legato à la fois dans la conduite de la phrase et dans la qualité du son. C'est la chose la plus belle et la plus difficile, au-delà des passages de bravoure de pure virtuosité - importante aussi. Il faut donc trouver sa sonorité : un son unique qui ressemble à votre propre voix. C'est ma démarche.

Le lyrisme est pour moi très important dans la vie, mais nous vivons une époque prosaïque, qui en manque singulièrement. À l'ère contemporaine de la vitesse, des flux d'information et d'internet, il est essentiel de nous retrouver nous-mêmes dans une salle de concert, silencieux, contemplatifs, en quête de beauté et de sensibilité. C'est là que le lyrisme se cultive, tout autant que dans la poésie, la littérature et la nature. D'ailleurs j'adore l'opéra (son épouse, Helen Kearns, est artiste lyrique, ndlr), c'est l'approche que je veux transmettre à mes étudiants.

Trio Élégiaque, Pornic Classic 2017 © DR.
Trio Élégiaque, Pornic Classic 2017 © DR.
Lauréat de concours internationaux aussi différents que le Reine Elisabeth, le Chopin à Varsovie, le Hamamatsu ou le Cleveland, entre autres. Pensez-vous qu'il y ait encore une école française du piano, et y appartenez-vous ?

François Dumont - La notion d'école est intéressante mais a beaucoup évolué. Nous avons accès à tous les enregistrements du monde et donc un accès, de quelque nationalité que l'on soit, à toute l'histoire du piano grâce à internet. Les écoles se sont ainsi petit à petit uniformisées, comme le son des orchestres.

Cependant nous avons encore de grands représentants de l'école française. Mon professeur au conservatoire, Bruno Rigutto, a travaillé avec Samson François, lui-même un élève d'Alfred Cortot (ce dernier était suisse, il est vrai). Vlado Perlemuter a eu beaucoup d'élèves. Je pense aussi à Dominique Merlet, extraordinaire pianiste et pédagogue, qui transmet cette tradition française avec les répertoires de Debussy et Ravel.

Nous avons eu et nous avons encore d'excellents pianistes, spécialistes de certains répertoires. Marcelle Meyer, Perlemuter, Marguerite Long : ces personnalités très différentes ont en commun d'appartenir à l'histoire du piano français. Cette école française était protéiforme, plus riche que l'on ne le croit. Blanche Selvat, une des plus grandes pianistes françaises de tous les temps (hélas oubliée aujourd'hui), avait une approche profondément originale, très différente de ses contemporains. On pense "français", donc grande clarté de jeu, grande transparence (bref, le classicisme) et on pense plutôt à Marguerite Long. Mais il y en a eu tellement d'autres ! Samson François, ce dieu, était totalement à part.

Quant à moi, j'ai aussi travaillé avec Dmitri Bashkirov, un grand représentant de l'école russe. Cette dernière aussi s'est exportée après la chute du Mur de Berlin, et elle a été pénétrée par d'autres influences. Mais elle m'intéresse et je veux aborder ce répertoire avec d'autres critères.

© Jean-Baptiste Millot.
© Jean-Baptiste Millot.
Si je vous entends, aujourd'hui on chercherait plutôt à s'imprégner d'une esthétique musicale plutôt qu'apporter des schèmes préétablis d'interprétation ?

François Dumont - Je le pense. La musique est une langue internationale mais peut-être pas universelle. Chaque répertoire nécessite un apprentissage particulier. Il faut essayer de chausser des lunettes différentes à chaque fois. Quand je joue du Bach (2), j'essaie d'avoir une approche adaptée, influencée par les instruments anciens. J'ai travaillé avec des piano-fortistes tel Andreas Staier, et ils m'ont beaucoup apporté. Notre métier nous oblige à être des pianistes polyglottes. C'est l'interprétation qui nous oblige à adopter la langue du compositeur - tout en restant fidèle à notre nature de musicien, qui ne peut être changée.

À votre propos, on a envie d'évoquer des qualités tels le naturel, la poésie, le toucher incomparable et le sens du phrasé. Comment vous voyez-vous en tant qu'artiste ?

François Dumont - C'est très difficile d'avoir du recul sur soi-même ; entre ce qu'on voudrait exprimer et ce que les autres reçoivent, il y a souvent un écart. De surcroît, ma façon de penser la musique évolue sans cesse, chacun de mes disques en témoigne. J'essaie d'avoir une intégrité vis-à-vis de l'œuvre et de la partition. Je veux la servir et servir le compositeur avec flamme. Mais c'est une question délicate que vous posez !

© DR.
© DR.
Quels sont vos compositeurs préférés parmi tous ceux que vous défendez ?

François Dumont - C'est toujours celui que je suis en train de jouer !
Pour être honnête, la vie serait beaucoup plus triste sans Mozart, sans Beethoven, sans Schubert, sans Ravel, sans Chopin ! Cela vaudrait beaucoup moins le coup d'être sur terre, non ?

(1) Les deux CD sont parus sous le label OSB Productions. Le premier avec les Concertos n° 9 et 20, le second avec les Concertos n° 23, 17, 24, 1 et 27.
(2) Est paru début 2017 un CD "Bach, volume 2. Keyboards Works" chez Artalinna.


>> Festival Pornic Classic

Prochains concerts de François Dumont (France) :
Deux concerts à Dinan le 9 novembre et à Lamballe le 10 novembre 2017 avec l'Orchestre Symphonique de Bretagne (Mozart).
Concert avec les Solistes de l'Orchestre de l'Opéra national de Lyon le 11 novembre 2017 à l'Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry et de Savoie.
Récital à l'Auditorium de Cahors le 17 novembre 2017.
Festival L'Esprit du Piano à l'Auditorium de Bordeaux le 19 novembre 2017 (Chopin, Ravel, Debussy, Busoni).
Récital Salle Gaveau à Paris le 18 janvier 2018 (Chopin, Debussy, Ravel).
>> francoisdumont.com

Le port dans la brume © DR.
Le port dans la brume © DR.

Christine Ducq
Vendredi 3 Novembre 2017

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
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"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
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Brigitte Corrigou
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024