Théâtre

"Vipère au poing"… Une partie d'échecs guerrière où s'affrontent d'archaïques relations familiales

"Vipère au poing", Théâtre Le Ranelagh, Paris

Œuvre quasi autobiographique, "Vipère au poing" d'Hervé Bazin est adaptée pour la première fois au théâtre dans une mise en scène de Victoria Ribeiro. Récit au vitriol d'une relation en forme de guérilla permanente entre une mère détestable et ses enfants rebelles, sa transcription en un seul en scène tient notamment par l'étonnante performance d'Aurélien Houver.



© Ben Dumas.
Relatant l'adolescence à peine transposée de l'auteur, dans les années trente, dans la région de Segré au nord d'Angers, "Vipère au poing" est un violent réquisitoire contre une mère cruelle et insensible, contre une relation autoritaire, sans affection, entre parents et enfants. Cette marâtre qu'il hait, et qui le lui rend bien, surnommée "Folcoche" (association de "folle" et de "cochonne"), initie dès le début une partie d'échecs guerrière qui ne s'éteindra que par le départ de Jean dit Brasse-Bouillon. Pour Hervé Bazin, ce sera l'année de ses vingt ans. Il rompt alors avec sa famille et part étudier à la faculté de lettres de la Sorbonne.

L'écriture de Bazin, vive et nerveuse, use autant de propos mordants et acides que de saillies empreintes d'humour noir ; et son roman, fustigeant la bien-pensance, les conventions sociales/familiales et les excès de la bourgeoisie d'hier, se retrouve à l'actualité de ces maux toujours présents aujourd'hui, même s'ils revêtent des formes différentes.

© Ben Dumas.
C'est ici la première adaptation pour le plateau, en un seul en scène audacieux où tous les protagonistes se retrouvent dans la voix d'un seul comédien, Aurélien Houver, suivant en cela la structure narrative du roman qui n'est pas seulement le récit de l'enfance de Brasse-Bouillon et de ses frères, mais aussi celle du narrateur lui-même qui, devenu adulte, raconte avec distanciation cette enfance.

Avec une franchise déconcertante, sans retenue, l'auteur revient sur les événements avec une distance où pointent une dérision caustique, voire corrosive, sans bienveillance aucune pour tous les membres de sa famille, le précepteur, ou lui-même. Ainsi, seul, pour en interpréter toutes les âpres facettes, Aurélien Houver alterne entre un jeu immersif, dense, où il incarne tous les personnages, et une adresse directe au public.

On sent alors une vraie fougue interprétée, exprimée, comme celle, forte et exacerbée, qui serait l'expression d'une guerre civile… ou comme si on assistait à la mise en place d'une guerre de tranchées dont les deux parties seraient composées principalement de Folcoche et Brasse-Bouillon… Où chacun va peu à peu fortifier, renforcer ses positions, construites ou plutôt creusées grâce à une solide et farouche haine.

De bout en bout, Aurélien Houver tient le rythme, habitant les principaux acteurs du roman, avec adresse et subtilité, sachant générer de brefs rires ou sourires, aux moments appropriés, opportuns. Usant de beaucoup d'énergie pour exprimer la vivacité contenue dans le livre, dans les échanges entre Folcoche et Brasse-Bouillon, employant des ruptures de rythmes, de courts silences et une étonnante palette de tonalités, de variations vocales, lui permettant de jouer aussi bien le père que les frères… lorsque leur présence est requise par l'histoire.

© Ben Dumas.
La mise en scène de Victoria Ribeiro agence l'ensemble avec intelligence, sans effets superflus. Elle crée opportunément, et avec habileté, les déplacements et les espaces dédiés (chambre, parc, forêt, pièces de la maison) suggérés, nécessaires à la narration et correspondant aux univers décrits dans le livre d'Hervé Bazin. Pour exemple, l'arrivée par l'allée centrale (suggestion de l'allée du parc) de Brasse-Bouillon, qui attrape, tue la vipère puis joue avec.

Tout est imaginé, seul un arbre, suffisamment grand et imposant pour pouvoir y grimper, lieu de refuge, poste d'observation, totem. Tout tient grâce à l'incroyable présence scénique du comédien et à son incroyable capacité à captiver l'attention de son auditoire.

Il s'agit d'une réelle performance, osée mais réussie, portant à la scène un texte très littéraire… et difficile, mais au final emportant allègrement l'adhésion du public.

"Vipère au poing"

© Ben Dumas.
Texte : Hervé Bazin.
Mise en scène : Victoria Ribeiro.
Avec : Aurélien Houver.
Costumes : Corinne Rossi.
Décors : Fabrice Cany.
Lumière : Idalio Guerreiro.
Par la Compagnie du Taxaudier.
Durée : 1 h 15.

Du 12 septembre 2018 au 13 janvier 2019
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Théâtre Le Ranelagh, Paris 16e, 01 42 88 64 44.
>> theatre-ranelagh.com

Gil Chauveau
Mardi 6 Novembre 2018
Dans la même rubrique :