Lyrique

"Je suis un homme ridicule", une fable musicale inaboutie à l'Athénée

Adapté d'une nouvelle de Dostoïevski, le nouvel opus du compositeur Sébastien Gaxie et du librettiste et metteur en scène Volodia Serre se veut un "spectacle électro-onirique", une expérience sensorielle et théâtrale unique. L'opéra nous laisse pourtant à quai, malgré une équipe artistique de qualité sur le plateau.



© S. Gaxie.
À quoi tient ce sentiment d'inachèvement quand on sort d'un spectacle ? On aurait pourtant voulu davantage l'aimer, d'autant plus que le projet semblait passionnant sur le papier et que l'œuvre et sa réalisation scénique témoignent en plusieurs endroits de fort belles idées. La nouvelle de Fédor Dostoïevski, "Le Rêve d'un homme ridicule" (1), peut-elle fournir la matière d'un opéra ? Tenter une fois de plus d'adapter l'œuvre romanesque de l'écrivain russe ? Un défi rarement réussi : on ne saurait recenser tous ces artistes qui s'y sont cassé le nez, au cinéma ou ailleurs.

D'un monologue "logorrhéique" (du propre aveu du librettiste et metteur en scène), Volodia Serre imagine une fable qui retrace les affres de l'homme dostoïevskien, suicidaire, hanté par son double (chantant ici) et qui va rejoindre une autre planète où il aimerait se faire une place au sein d'une humanité primitive et innocente, vivant dans la joie d'un éternel premier matin du monde. Cet homme "ridicule" - parce que ne se résignant pas tout à fait à son nihilisme - n'apportera que conscience malheureuse et péchés aux habitants de cette planète idéale.

© S. Gaxie.
De retour sur terre, notre antihéros décidera alors de prêcher pour témoigner de cette innocence qui fut à l'origine. L'opéra, c'est aussi ce prêche adressé à nous, spectateurs. Passons sur la teneur du message, laissé à l'appréciation de chacun. Volodia Serre affirme s'être inspiré de trois films de la "Trilogie des Qatsi" de Godfrey Reggio, mise en musique par Philip Glass dans les années soixante-dix (2). Il y a pourtant loin de l'épopée de Reggio au service d'un message philosophique et écologique toujours pertinent à cet opéra "da camera", qui doit naviguer (à ses risques et périls) entre farce grotesque et voyage onirique.

Sébastien Graxie, dont la large expérience se nourrit aussi bien du jazz que de la création contemporaine (et de l'ethnomusicologie), a cherché à intégrer la voix parlée à l'opéra avec les moyens modernes disponibles aujourd'hui. Il fait se superposer voix des instruments et voix parlée. C'est peut-être ce mariage qui semble ici déséquilibré, parfois au détriment du chant.

© S. Gaxie.
Après un prologue théâtral assez ennuyeux, malgré le talent du comédien Lionel Gonzalez, les tableaux s'enchaînent. La proposition scénique se fait convaincante et même souvent belle, alors qu'on suit le "héros" sur cette exoplanète utopique. Vidéo, lumières, scénographie, tout est plutôt très réussi. De même que la partition bruitiste, offrant un paysage musical synthétisant divers courants compositionnels (et dopé à l'électroacoustique), se fait plus lyrique alors qu'on quitte la farce ironique pour le rêve : les excellents musiciens de l'Ensemble 2e2m (comme toujours parfaits sous la direction de Pierre Roullier) apparaissant alors de part et d'autre du plateau.

Le travail sur la voix, sa hauteur, son timbre, qui intéresse tant le jeune compositeur, acquiert son supplément d'âme au-delà de l'expérimentation pure, grâce au talent de l'ensemble Musicatreize et du baryton Lionel Peintre, double bondissant et sarcastique du personnage principal. Pourtant le spectateur reste en deçà de cette envolée cosmique qui s'échoue dans la noirceur et de lancinantes répétitions. Si l'ironie passe la rampe et fait sourire, la dimension onirique lui reste en partie étrangère.

(1) Une des nouvelles du "Journal d'un écrivain" de F. Dostoïevski, 1877.
(2) Disponible en DVD ("Koyaanisqati", "Powaqqatsi", "Naqoyqatsi").

© S. Gaxie.
Du 25 février au 4 mars 2017 à 20 h.
Athénée Théâtre Louis-Jouvet.
Square de l'Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau,, Paris 9e.
Tel : 01 53 05 19 19.
>> athenee-theatre.com

"Je suis un homme ridicule" (2017).
Opéra de Sébastien Graxie.
Livret et mise en scène de Volodia Serre.
Direction de Pierre Roullier.
Durée : 1 h 10.

© S. Gaxie.
Marc Lainé, Stephan Zimmerli, scénographie.
Benoît Simon, Stéphane Lavoix, vidéo.
Hanna Sjödin, costumes.
Kevin Briard, lumières.
Étienne Graindorge, son.
Roland Hayrabedian, Chef de chœur.
André Markowicz, traduction.

Lionel Gonzalez, comédien, chanteur.
Lionel Peintre, chanteur.
Ensemble 2e2em.
Ensemble vocal Musicatreize.

Christine Ducq
Mercredi 1 Mars 2017
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