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Vivre dans le feu ou les sept vies de la pianiste Lydia Jardon

Entre la sortie de son dernier CD, "L’Oiseau de feu" de Igor Stravinski, et son prochain récital le 11 décembre au Goethe Institut, la pianiste Lydia Jardon nous a fait la joie de nous rencontrer. Portrait d’une pianiste surdouée et d’une femme inoubliable.



© DR.
Rencontrer Lydia Jardon, vraie muse au prénom grec, c’est faire l’expérience d’un moment de réalité augmentée. Tous les superlatifs, les adjectifs élogieux ont déjà été écrits à son sujet, et ma foi, ils se pressent aussi sous ma plume. Elle n’est pas seulement "l’électron libre" de la musique classique, comme elle nous le glisse dans un grand rire ravageur : cette musicienne, au talent incandescent comme sa chevelure, est aussi une femme très belle. De cette beauté que ne dépare pas une bravoure, qui déplace les montagnes. Fondatrice de deux festivals dans des lieux improbables, et d’un label de disques classiques exigeants en un temps peu clément pour les ventes, cette femme semble vivre plusieurs vies en une seule !

Je la retrouve dans un bar parisien un jour gris et maussade. Dès qu’elle apparaît, tout semble retrouver des couleurs. Elle m’accueille avec la simplicité et la générosité des vraiment grands. Enfant de ces terres sublimes et écrasées de soleil de la Catalogne, elle a pourtant été séduite par les grandes terres et îles bretonnes battues par les vents, par "l’île aux femmes" qu’est Ouessant, où elle a fondé en 2001 un festival dédié aux compositrices, oubliées injustement par la postérité, et aux interprètes féminines. Car Lydia Jardon n’est pas du genre à se contenter d’un parcours académique d’interprète, bien qu’elle soit lauréate de concours et de prix enviés. Ni même d’une belle carrière internationale.

© Alexandra de Leal.
Elle me le confirme : ce qui compte pour elle "c’est la quête", celle de la vie, de l’art, et des autres. Comme Van Gogh cherchait la haute note jaune, Lydia Jardon par ses multiples activités - pianiste et directrice artistique - veut "apporter du beau", "rentrer dans le cœur des gens". Et quel meilleur médium que la musique ? Elle est d’ailleurs aussi une pédagogue hors-pair, soucieuse de transmettre son art aux enfants, comme elle en fait cadeau à tous dans ses concerts. Je lui cite Stravinski, qui semble la connaître : "J’approuve l’audace, je ne lui fixe pas de limites." Elle réfléchit et acquiesce.

Et de l’audace, il en faut pour créer ces festivals dédiés aux artistes féminines, ces Fanny Mendelssohn, ces Alma Mahler, injustement oubliées par l’Histoire. Imaginez cette scène digne du film de Jane Campion, "La leçon de piano" : une dizaine de pianos en train d’être embarqués à bord de bateaux sur une mer déchaînée, et destinés à révéler ces artistes du passé et du présent. Une image épique et géniale qui lui ressemble. Mais croire qu’elle va se contenter de cette victoire sur les éléments est bien mal la connaître ! En 2002, Lydia Jardon crée le label "Ar Ré-Sé" ("Celles-là" en breton) pour redonner sa chance à des partitions méconnues et pour exhausser d’autres perles : des jeunes musiciennes, une cantatrice Norah Amsellem et une compositrice, Florentine Mubant.

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Notre oiseau de feu ne s’estime pas pour autant satisfait et l’an dernier elle crée le festival "Musiciennes en Guadeloupe", après avoir été séduite par les paysages caraïbes et les femmes d’outre monde, lors d’une tournée. C’est une folie ? Ce n’en est que plus désirable, et tant pis s’il faut affronter un ouragan dès la première édition en mai 2012. Celle qui se dit "stakhanoviste" de la musique, aime aussi les défis : renversant problèmes de financement et préjugés - car la musique classique là-bas rappelle à certains l’odeur des soutes des négriers de la métropole… -, entraînant (presque) tous les cœurs vaillants après soi, c’est mission réussie - et ce, malgré les incroyables difficultés. Mais notre pianiste flamboyante dompte aussi les partitions récalcitrantes !

Quand elle évoque la partition de la transcription pour piano de la suite symphonique de Stravinski, "L’Oiseau de feu", Lydia Jardon sourit. Deux ans de travail ont été nécessaires pour en venir à bout, depuis que le chef Jean-Claude Casadesus lui en a passé commande pour son "Lille piano(s) festival". Reprenant les transcriptions du compositeur russe et de son fils, la pianiste les fusionne et en livre une version toute personnelle. Elle me montre la partition, "taguée" dit-elle de toutes les couleurs de l’arc en ciel, et qui témoigne de l’âpre travail qu’elle a dû fournir pour aboutir au magnifique enregistrement d’aujourd’hui. Un marathon incroyable, d’inlassables expérimentations pour répartir les parties dévolues à la main gauche et à la droite, bref une tâche titanesque qui en aurait fait fuir plus d’un, peu pressé comme elle de "s’enfermer vivante" dans l’œuvre.

© Alexandra de Leal.
On peut donc ajouter à tous nos adjectifs de ce portrait, celui de "perfectionniste" pour cette musicienne fidèle en cela à l’exigence d’absolu d’un grand pianiste du passé qui prônait une connaissance parfaite de la partition avant l’enregistrement ("jouer plus de trente fois" me dit-elle, l’œil rêveur…). Pour le CD, elle qui avait montré son âme mélancoliquement slave avec ses interprétations de Rachmaninov, de Scriabine, de Miaskovsky, son âme délicatement française avec sa version de "La Mer" de Claude Debussy, elle révèle une autre facette passionnante de sa psyché : sa force solaire, régénératrice toute stravinskienne. Son jeu tantôt subtil, tantôt puissant, ce jeu virtuose, parfois serein, et parfois emporté, sert en tous points une riche partition, pleine de couleurs, de rythmes, de ruptures, de sauts d’octave invraisemblables. Tantôt jazzy et tantôt méditative, lyrique ou déchaînée, la musique comme son interprète se fait grave puis lumineuse. "L’Oiseau de feu" : un vrai autoportrait de l’artiste en somme ! Bref, vous l’aurez compris, il faut courir écouter Lydia Jardon en récital. Moi, je l’adore !

Mercredi 19 juin 2013 à 18 h 30
Récital : "L'oiseau de feu" de Stravinsky,
transcription pour piano seul.
Lydia Jardon, piano.
Argument lu par Ingrid Schoenlaub.
Bibliothèque nationale de France, Petit auditorium,
11, quai François Mauriac, Paris 13e.

Récital le 11 décembre 2012 à 20 h.
Lydia Jardon, piano.
Macha Méril, récitante.
Goethe Institut, 01 44 43 92 30.
17 avenue d’Iéna, Paris 16e.

• Lydia Jardon "The Firebird - The Song of the Nightingale" de Igor Stravinski.
Transcription pour piano seul.
Sorti le 7 novembre 2012.
Label : Ar Ré-Sé. Distribution : Codaex.
>> arre-se.com

>> lydiajardon.com
>> musiciennesaouessant.com
>> musiciennesenguadeloupe.com

Christine Ducq
Samedi 8 Décembre 2012
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