Théâtre

"Une trop bruyante solitude"… Manier l'humour comme arme de dérision massive

"Une trop bruyante solitude", Théâtre de Belleville, Paris

Vu de l'extérieur, à bien des égards, le personnage de M. Hanta est un lambin. Pas Stakhanov pour deux sous. Il est le dernier maillon de la chaîne du Livre : l'oublié. Une manière de crétin maculé d'encre, ahuri de fatigue qui compacte, avant pilonnage, les livres.



© Lise Levy.
C'est par lui que se réalise l'ultime tâche avant la disparition des mots, des auteurs, des idées, de la beauté. L'ultime étape de la destruction de la valeur symbolique des choses avant le retour à la matière. Une façon de fossoyeur. Pour son malheur, il appartient à ce que l'on appelait encore il y a peu le lumpenprolétariat.

Mais voilà, opiniâtre, cet humble parmi les humbles, ingurgite tous les mots, tous les auteurs, toutes les idées, tous les beaux livres, sauve tout ce qu'il peut sauver et, ce qu'il ne peut sauver, il l'empaquette, l'emmaillote, comme en un couffin de cérémonie secrète. Plein d'un respect que la révolte guette, Hanta est un héros oublié que les mots envahissent, habitent. Au fond de sa cave, entre rats et ciel étoilé, il raconte à qui ne l'entend pas sa vie .Il soliloque, bruyamment, brillamment.

Par la puissance des mots digérés, il s'anime et de la vie d'un gars "qu'a pas eu d'chance" fait récit. Magnifique. Hanta spectateur et acteur devient gloire de lui-même. Un Homme, Héros d'un théâtre du sublime surgissant du grotesque. Sauvé du silence et de la disparition par l'effet théâtre. C'est un bonheur pour le spectateur.

© Lise Levy.
Le jeu de Thierry Gibault dans sa simplicité, sa gradation et sa puissance dégage des pics de réalismes, les retourne en leur point ironique et les conduit à cet état de conscience, de dépassement du désespoir qui déclenche le rire salvateur : celui de l'éveil au monde.

On ne saurait mieux servir l'auteur Bohumil Hrabal, tchèque, sans cesse censuré par l'État totalitaire d'avant la chute du monde soviétique, et qui manie l'humour comme arme de dérision massive.

"Une trop bruyante solitude"

© Pauline Le Goff.
Texte : Bohumil Hrabal.
Adaptation et mise en scène : Laurent Fréchuret.
Traduction : Anne-Marie Ducreux-Palenicek.
Jeu et collaboration artistique : Thierry Gibault.
Son : François Chabrier.
Lumière : Éric Rossi.
Théâtre de l'Incendie.
Durée : 1 h 05.

Jusqu'au 29 mars 2016.
Lundi à 21 h 15 et mardi à 19 h 15.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

Puis au Théâtre des Halles, Avignon Off 2016.

Jean Grapin
Vendredi 25 Mars 2016
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