Théâtre

Une partition pour acteurs joliment réalisée : la pièce de Marcel Aymé dans tout son lustre

"Clérambard", Théâtre 13, Paris

Il est vrai qu'il y a un aspect suranné dans cette pièce. Ne serait-ce que la distribution de rôles et la situation : une ville de province, un aristocrate, un curé, une prostituée, un fils retardé sexuellement, l'apparition d'un saint, une famille de commerçants enrichis, avides de dorer le nom de leur famille en payant par dot le droit de porter le nom de comte de Clérambard.



© Grégoire Matzneff.
Cela transpire la France de l'ancien temps, celle qui rayonne entre la fin du XIXe siècle jusqu'aux années soixante. La première représentation de la pièce eut lieu en 1950 : enterrement de première classe d'une société en voie d'extinction.

Mais il y a aussi du visionnaire. Marcel Aymé n'est pas un nostalgique. Il s'inscrit dans la réalité de son époque. Il est un caricaturiste de la nature humaine qui, fatalement, s'inspire des mouvements de son contemporain pour trouver ses trames. Sous un humour volontairement démesuré, Clérambard est une belle diatribe à l'encontre des fanatiques.

L'histoire en deux mots : Le Comte de Clérambard, ruiné, force sa famille (mère, femme et enfant) à tricoter des pulls et manger du chien et du chat (qu'il tue avec délectation) pour conserver le lustre de son nom, c'est-à-dire le château en ruine dans lequel ils survivent, à bout. L'apparition soudaine de Saint François d'Assise (défenseur des animaux) le fait basculer dans l'excès inverse : il se dépouille de tout et force une nouvelle fois sa famille à vivre de la mendicité sur les routes… Bref, rien ne change à leur quotidien. À cela vient s'ajouter une série d'anecdotes qui font vivre la pièce.

Marcel Aymé semble largement élève de Molière, se basant sur la peinture de traits de caractère pour soutenir ses pièces. Et bien sûr avec l'art de tourner ces travers en caricatures fines, et méchantes.

© Grégoire Matzneff.
Avec un plaisir non dissimulé à mélanger les classes sociales, leurs langages, leurs vertus et leurs bêtises propres sans prendre parti. Observer les collisions entre les humains semble sa passion. Et quelquefois des étincelles de vérité en jaillissent – le film "La traversée de Paris", avec Bourvil et Gabin, est tiré d'une de ses nouvelles.

Dans sa mise en scène, Jean-Philippe Daguerre ne cherche pas à moderniser quoi que ce soit, à part peut-être dans le fait d'avoir choisi des décors suggérés plutôt que d'alourdir le plateau avec des murs réalistes : meubles, accessoires et lumières suffisent à se transporter dans la France provinciale engoncée des années cinquante. Les personnages en sortent renforcés d'illusions plus que de réalité.

Mais il a surtout fait le pari de la performante création des personnages et du rythme intense. Une excellente distribution dont on partage le plaisir de jouer ces personnages excessifs, caricaturaux mais humains. Tous jouisseurs du verbe, de la situation cocasse et de la bêtise humaine. Il faudrait les citer tous, car tous sont vrais dans leurs rôles, tous reconnaissables mais originaux. Un coup de cœur pourtant pour Flore Vannier-Moreau qui incarne entre autres la prostituée La Langouste et sa gouaille pure et émouvante.

Et pour Franck Desmedt également qui développe ici une énergie et un dynamisme fascinant dans le rôle du comte. Tous, et c'est là toute la force de la comédie, sont extrêmement justes et parviennent à réduire par leur jeu les quelques langueurs du texte de Marcel Aymé.

La morale ? Un extrémisme en vaut un autre : ils sèment partout, autour d'eux, l'absence de bonheur, de joie et d'amour de la vie.

"Clérambard"

© Grégoire Matzneff.
Texte : Marcel Aymé.
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre.
Assistante à la mise en scène : Mariejo Buffon.
Avec : Grégoire Bourbier, Isabelle de Botton, Séverine Delbosse, Franck Desmedt, Antoine Guiraud, Hervé Haine, Romain Lagarde, Guilaine Londez et Flore Vannier-Moreau.
Collaboration artistique : Laurence Pollet-Villard.
Musique : Hervé Haine.
Costumes : Corinne Rossi.
Décors : Frank Viscardi et Simon Gleizes.
Accessoires : Déborah Durand.
Cie Le Grenier de Babouchka.
Durée : 1 h 40.

Du 14 novembre au 23 décembre 2017.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre 13 Coté Jardin, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Bruno Fougniès
Lundi 27 Novembre 2017
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