Théâtre

Une leçon in vivo, un authentique thriller civique… ravivant les mythologies françaises

"Ça ira (1) Fin de Louis", Nanterre-Amandiers CDN, Nanterre

Août 1788, octobre 1789. De la révocation de Necker à l'abandon de Versailles comme siège du gouvernement par Louis XVI. De la monarchie absolue à la monarchie parlementaire… Joël Pommerat, dans "Ça ira (1) Fin de Louis", a choisi de représenter au plus près les événements qui ébranlèrent le monde dans une langue et une gestuelle contemporaines.



© Elizabeth Carecchio.
Les dialogues s'appuient sur une chronologie scrupuleuse de faits et de gestes tirés de témoignages directs ou de travaux d'historiens. Si le contenu des paroles est authentique dans la lettre ou l'esprit, hors la famille royale, les personnages célèbres ou controversés sont invisibles.

Ainsi montrée dans un vertigineux choc spatio-temporel, l'histoire devient contemporaine, et le jeu politique pouvant apparaître comme désespérément immuable, elle se trouve empreinte d'un humour d'autant plus dévastateur qu'il est discret. Les dialogues reflétant très précisément le point de vue de chaque personnage, si des ridicules sont constatés, il faut savoir s'en prendre au personnage lui-même, pas au metteur en scène, ni aux acteurs.

La scène est un point focal de la représentation du pouvoir, de la présidence de l'assemblée, du conseil du roi à Versailles, de la révolte à Paris, et la salle est transformée en un hémicycle parlementaire. L'un interpelle l'autre, tous s'interrompent, se somment de se taire. Au risque de la rixe, les débats de la gauche à la droite sont chauds. Le roi tâtonne, l'assemblée s'enlise. Le spectacle oscille ainsi d'un point de vue à un autre opposé et le sens circule.

© Elizabeth Carecchio.
Plongé dans le huis clos et le brouhaha de l'assemblée du tiers état, animé par la passion et soumise au jeu des rumeurs et des pressions exercées par le pouvoir, le spectateur vit en direct la mue douloureuse des États généraux en Assemblée nationale constituante. Il discerne les lignes de force qui deviennent clivages et lignes de fracture ; et appréhende la complexité de la mise en œuvre d'une idée simple : augmenter les recettes fiscales et modifier l'assiette de recouvrement de l'impôt.

L'histoire pourrait être conte de fée. Il suffirait que chacun contribue selon son revenu quel que soit son rang, quel que soit son état... Et d'ailleurs une déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une constitution écrite donnent la loi commune permettant à chacun de trouver une justification au recours à l'impôt pour satisfaire les intérêts collectifs.

Dans le dispositif mis en place, confronté au point de vue d'une noblesse extrémiste opposée à toute évolution et une frange extrémiste résolument opposée à tout pouvoir central, le spectateur traverse les phases d'euphories et de craintes. Il éprouve l'écart entre la pulsion et la raison. Il est amené au point critique où chacun devient citoyen et doit se faire une opinion.

© Elizabeth Carecchio.
Il est séduit par les différentes manières de conquête de la parole et par la richesse des débats : ceux-ci posant la question de la représentativité, de l'intérêt collectif et de la compétence des acteurs politiques.

Il voit en direct la montée de l'impuissance de la monarchie absolue et la montée des impatiences porteuses de violences. Le spectateur comprend la nécessité de dépasser la conscience de caste et pour atteindre celle de la Nation. Intérêt général contre intérêt particulier. Le risque hégémonique d'une majorité. Le rôle des minorités qu'il faut savoir ne pas exclure.

Il observe l'usure de la représentation officielle ainsi que la solitude du dernier monarque qui, bien que porté par une assemblée quasiment unanime, doit apprendre un nouveau métier : celui d'arbitre et non plus de décideur selon son bon vouloir. Louis face à son destin.

© Elizabeth Carecchio.
Parce qu'il connaît la suite, l'année 1790 (la fête de la fédération), 1792 (la mort du roi), le spectateur découvre comment se noue la tragédie. Comment un vieux monde se déchire, comment le nouveau apparaît dans la douleur de l'accouchement. Il repère le piège dans l'enchaînement des événements, les prédictions autoréalisatrices, les rumeurs mortifères, les égoïsmes suicidaires, la violence des rancœurs et les désirs de vengeance.

Joël Pommerat, dans une véritable leçon in vivo, par un authentique thriller civique, ravive les mythologies françaises. Toute ressemblance avec des personnes ou des événements existantes ou ayant existé n'étant évidemment pas fortuite, il fait désirer par le rire et la conscience, la possibilité d'un nouveau conte qui exorciserait le passé et ferait toucher du doigt un presque rien, un pas grand-chose rendu public et commun à tous qui ferait le bonheur de tous. Le théâtre comme res publica. Une forme d'évidence qui recueille une ovation debout de la part du public.

L'administration des journaux officiels seraient bien inspirée de republier pour le grand public le journal des débats du quatorze juillet et du quatre août 1789.

"Ça ira (1) Fin de Louis"

© Elizabeth Carecchio.
Une création théâtrale de Joël Pommerat.
Assistante à la mise en scène : Lucia Trotta.
Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir.
Scénographie et lumières : Éric Soyer.
Costumes et recherches visuelles : Isabelle Deffin.
Son : François Leymarie, Grégoire Leymarie.
Dramaturgie : Marion Boudier.
Collaboration artistique : Marie Piemontese, Philippe Carbonneaux.
Conseiller historique : Guillaume Mazeau.
Direction technique : Emmanuel Abate.
Construction des décors : Thomas Ramon, Artom et les ateliers de Nanterre-Amandiers.
Durée : 4 h 20 (pauses comprises).

Du 4 au 29 novembre 2015.
Du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30.
Nanterre-Amandiers CDN, Grande Salle, Nanterre (92), 01 46 14 70 00.
>> nanterre-amandiers.com

© Elizabeth Carecchio.

Jean Grapin
Mercredi 11 Novembre 2015
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