Théâtre

"Une assemblée de femmes", "Me and my soul"… Unir avec succès art théâtral et politique !

Dans le cadre des expositions et œuvres artistiques qui ont lieu jusqu'au 19 novembre de "Ce que la Palestine apporte au monde", l'institut du monde arabe dévoile, autour d'un cycle de trois expositions d'art contemporain, la créativité des artistes palestiniens dans les territoires et en exil. Visites muséales plurielles, ateliers jeune public, films, exposition des archives palestiniennes de Jean Genet, photographies et théâtre, c'est tout un univers culturel et artistique riche de son passé, de son présent et de ses promesses d'avenir qui est mis en exergue. Focus est fait sur deux pièces de théâtre dans notre chronique.



"Me and my soul" © Alice Sidoli.
Lumière sur une femme habillée en noir. Elle se déplace, fait quelques pas de façon plus ou moins assurée. Puis un objet volant, dessiné sur un fond blanc, apparaît. Il traverse le ciel lui-même représenté par celui-ci.

Est-ce un oiseau à l'allure vive ou un avion ? Rapidement, d'autres objets volants arrivent dans différentes directions avec des bruits de moteurs qui font deviner qu'il s'agit d'avions aux objectifs guerriers qu'essaie d'éviter le personnage, incarné par Raida Adon. Elle est percutée par l'un d'eux et finit allongée au sol, embrassée par la mort. De ce corps physique qui ne bouge pas, une représentation graphique s'en dégage pour monter au ciel, telle la personnalité éthérée de cet être ou la représentation de son âme comme deux parties séparées qui cohabitent. De ce découplage, dans son monologue en arabe, Raida Adon en parle comme le titre évocateur "Me and my soul" de sa performance en fait allusion.

Il y a une quiétude dans cette montée, comme si la mort était tranquillité et méditation, la détachant ainsi d'une vie balayée par la guerre. Dans cette cohabitation entre dessin et corporéité, réalisme et imaginaire, réel et rêve, ce sont les deux faces d'une existence qui repose sur un quotidien dur, violent et le désir, voire la fuite, vers un Ailleurs au-delà de la terre, même si rejoindre le ciel est, lui aussi, envahi d'objets intrusifs et meurtriers.

"Me and my soul" © Alice Sidoli.
Le fond blanc se nourrit d'autres formes et de différentes peintures. Il y a cet ensemble de femmes qui se dessinent une à une progressivement, formant des vagues avec leurs cheveux comme des écumes de la mer. Plus loin, c'est un tableau sombre, aux couleurs mates et aux contours clairs, qui apparaît, une sorte de Guernica avec ses cadavres disséminés ici ou là.

Et puis Raida Adon est face à nous, debout, faisant des mouvements ondulés de sa main droite, comme pour faire sentir cette espace autour d'elle d'un corps habillé de deuil et de mort, boudé par l'espoir, derrière un fond blanc comme un appel à une quiétude qui existe si peu, car balayé par la souffrance et le massacre.

Tout est poésie chez Raida Adon. Son corps se détache et s'immisce dans le décor, entre la beauté d'un rêve et la cruauté d'un monde.

"Une assemblée de femmes" © Alice Sidoli.
Le deuxième spectacle, "Une assemblée de femmes" (392 av. J.-C.) d'Aristophane (vers 445 av. J.-C. et mort entre 385 et 375 av. J.-C.), est joué par le Théâtre National de Palestine situé à Jérusalem Est.

Il fait nuit noire et quatre personnages féminins, avec chacun leur lampe, sont sur scène habillés en hommes avec de fausses barbes prêtes à investir l'assemblée athénienne. C'est une double dénonciation de la mainmise d'une société patriarcale sur les femmes et de la corruption qui y sévit. Comment ne pas se rappeler la réalité du peuple palestinien qui subit, en plus de la colonisation israélienne avec sa violence et sa cruauté depuis des décennies, d'une corruption politique de certains de leurs gouvernants ?

La pièce est aussi basée sur des propos de Palestiniennes dont les vidéos apparaissent sur trois voiles blancs suspendus à trois fils comme des draps qui sèchent. Ce travail d'interviews, au travers de pratiques et de regards artistiques croisés, a été effectué par Roxane Borgna, Laurent Rojol et Jean-Claude Fall. Elles donnent leurs avis sur les rapports hommes-femmes en Palestine.

"Une assemblée de femmes" © Alice Sidoli.
Elles sont de tous âges et de toutes générations et interviennent par intermittence dans la pièce, comme des moments réels alimentant la fable d'Aristophane qui déroule la révolte des athéniennes voulant prendre l'assemblée pour combattre l'iniquité et la corruption des hommes. Autre lieu, autre époque, mais même maux toujours présents même à des milliers d'années de différence. C'est le couple, de bout en bout de la pièce, entre réalité et fable qui fait l'originalité de la pièce, car le propos théâtral tire directement sa force du terrain.

Il y a aussi ce mariage entre film et théâtre qui donne au jeu une double focale, autant géographique que temporelle, même si cette temporalité devient intemporelle. Ces Palestiniennes interviewées sont dans un autre espace-temps, à savoir Naplouse, Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Ramallah et Hébron, dont la proximité avec ce qui se passe sur scène est mise en exergue par les ressorts dramaturgiques de la pièce d'Aristophane. Elles deviennent comme l'essence des personnages de l'auteur grec.

Ce qui interpelle aussi est cet arrêt sur image pendant plusieurs scènes sur le visage d'une jeune dame interviewée et dont le regard semble être interrogatif sur les évolutions politiques à effectuer. Ce visage et ce regard ne restent pas fixes et accompagnent les différentes scènes.

"Une assemblée de femmes" © Alice Sidoli.
La dramaturgie présente une scénographie presque dénudée avec un escabeau, un porte-voix, trois voiles blancs suspendus à un fil, quelques fausses barbes, des robes et des costumes. Tout est dans le jeu des comédiens. Vif, truculent, le texte est porté avec gourmandise et talent. C'est une double plongée dans notre société patriarcale qui s'étend aux quatre coins du monde à des degrés différents.

À la fin du spectacle, la troupe propose au public d'exprimer ce qu'il souhaiterait comme société, chacun pouvant donner son avis. Puis le public est invité à boire une succulente soupe de légumes en écho à la lutte dans "Une assemblée de femmes" pour un monde de partage.

Le rôle de la comédienne Mays Assi AbuGrbieah a dû être assuré par d'autres comédiens de la troupe, car elle avait un passeport palestinien et Israël ne lui a pas donné l'autorisation de quitter Jérusalem pour cette représentation.

"Me and my soul" © Alice Sidoli.
Les deux pièces ont été jouées le 23 septembre 2023 à l'Institut du Monde Arabe (IMA).

"Me and my soul"
Performance et peintures vidéo : Raida Adon
Chorégraphie : Renana Raz
Design vidéo et projection live : Yaara Niral
Durée : 30 minutes.

"Une assemblée de femmes"
Traduction de la pièce d'Aristophane en arabe palestinien : Ranya Filfil.
Adaptation, mise en scène : Jean-Claude Fall.
Dramaturgie, interviews, scénographie : Roxane Borgna.
Réalisation vidéo, scénographie : Laurent Rojol.
Interprète : Dana Zughayyar.

"Une assemblée de femmes" © Alice Sidoli.
Avec : Fatima Abu Alul, Ameena Adilehn, Iman Aoun (comédienne et directrice du Théâtre Ashtar), Mays Assi, Firas Farrah, Nidal Jubeh, Amer Khalil (comédien et directeur du Théâtre National Palestinien - Al Hakawati), Shaden Saleemn.
Durée : 1 h 30.
Création franco-palestinienne par El Hakawati The Palestinian National Theatre.
Coproduction : TNP, La Manufacture Cie Jean- Claude FALL, Institut Français de Jérusalem - Chateaubriand, avec le soutien du Consulat Général de France à Jérusalem.

Tournée "Une assemblée de femmes"
12 juin 2024 : Printemps Bécon comédien, Périgueux (24).
Du 14 au 16 juin 2024 : Montpellier (34).

Expositions "Ce que apporte la Palestine"
Du 31 mai au 19 novembre 2023.
Du mardi au vendredi de 10 h à 18 h, samedi, dimanche et jours fériés de 10 à 19 h.
Institut du monde arabe, Paris 5e, 01 40 51 38 38.
>> imarabe.org
>> Programme des expositions

Safidin Alouache
Jeudi 5 Octobre 2023
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