Lyrique

Un désopilant "Médecin malgré lui" à Genève

Le Grand Théâtre de Genève programme pour deux soirées encore une œuvre de Charles Gounod, "Le Médecin malgré lui", trop rarement montée et excellemment servie par la malicieuse production de Laurent Pelly. Avec une distribution ad hoc emmenée par le génial Boris Grappe dans le rôle de Sganarelle, le rire et la fantaisie sont au rendez-vous.



© GTG/Carole Parodi.
Charles Gounod compose dans la fièvre son "Faust" quand le directeur du Théâtre Lyrique à Paris lui demande de reporter son grand œuvre (un opéra sur le même sujet est sur le point d'être monté à Paris) et de s'intéresser à la pièce de Molière "Le Médecin malgré lui". Quelque peu désabusé, le compositeur français s'attelle malgré tout à la tâche, confiant à ses librettistes Jules Barbier et Michel Carré le livret. Le texte de Molière sera presque entièrement conservé avec les adaptations d'usage.

Ce sera le festival des premières fois pour Gounod : première œuvre comique, premier succès public et critique à la création le 15 janvier 1858 (le jour-anniversaire de la naissance de Molière) et l'adoubement des meilleurs compositeurs - Berlioz en tête qui y voit "un vrai petit chef-d'œuvre de goût, d'esprit, de verve et d'atticisme musical". Excusez du peu. Il faut dire que cet opéra-comique est une pure réussite et se défend encore admirablement aujourd'hui (à l'écoute aucunement démodé), contrairement à nombre d'œuvres de style léger récemment exhumées.

© GTG/Carole Parodi.
Grâce en soit rendu au génie universel de Molière - et la farce est fort bonne -, à une partition qui (de l'aveu même de Gounod) est "d'une allure facile et légère" proche de l'opera buffa italien mais bien dans l'esprit français. Le genre de l'opéra bouffe français renoue alors avec ce "Médecin" avec la réussite des plus grands mais avec des passages pastichant avec esprit Lully et une orchestration subtile, entre grâce et burlesque, frappée au coin des créations symphoniques antérieures du compositeur.

Gounod, comique ? Eh oui. Et quand la gaieté spirituelle de l'opéra rencontre pour la servir l'invention d'un metteur en scène comme Laurent Pelly et l'énergie non moins talentueuse de ses interprètes, que demande le peuple ? Avec une scénographie exemplaire et les moyens modernisés inspirés du théâtre de tréteaux, le metteur en scène trouve la bonne recette pour servir au public le plus délicieux des remèdes et l'on s'amuse franchement aux péripéties endiablées des aventures de ce pauvre Sganarelle, fagotier devenu médecin par la force d'un (heureux) retour de coups de bâton. L'amour, l'humour médecin, c'est le credo moliéresque heureusement revisité.

© GTG/Carole Parodi.
Boris Grappe est un Sganarelle supérieurement doué (1). Sa vis comica, le talent de baryton, tout concourt chez lui à nous enchanter - avec l'impression qu'on n'avait pas vu une telle réussite d'incarnation depuis longtemps. La Martine de Ahlima Mhamdi (son épouse excédée) et le Géronte de Franck Leguérinel sont au diapason. Le ténor Stanislas de Barbeyrac joue avec gourmandise les amoureux transis et la direction de Sébastien Rouland souligne avec jubilation les pleins et déliés d'une œuvre qui se veut pure ligne dédiée au rire musical - bien servi, il est vrai, par un orchestre et un chœur idoines.
(1) Selon l'aveu même de Gounod, trouver l'interprète idéal est vital car sinon "l'attrait de l'exécution se réduit à peu de chose". Jugement sévère mais qui explique, selon lui, l'absence avérée de l'opéra dans les programmations des théâtres après sa création (2).
(2) "Le Médecin malgré lui" sera repris deux fois en 1872 et en 1978 dans sa version originale.



14 et 16 avril 2016 à 19 h 30.

© GTG/Carole Parodi.
Retransmission le 14 mai 2016 à 20 h dans l'émission "À l'opéra" sur Espace 2 - RTS (Fréquences FM 100.1 et 100.7).
>> rts.ch/espace-2/

Grand Théâtre de Genève - Opéra des Nations.
40, avenue de France, Genève (Suisse).
Tél. : + 4122 322505.
>> geneveopera.ch

"Le Médecin malgré lui" (1858).
Musique de Charles Gounod (1818-1893).
Livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après la pièce de Molière.
En français surtitré en français et en anglais.
Durée : 1 h 30 sans entracte.

© GTG/Carole Parodi.
Sébastien Rouland, direction musicale.
Laurent Pelly, mise en scène et costumes.
Chantal Thomas, décors.
Joël Adam, lumières.

Franck Leguérinel, Géronte.
Clémence Tilquin, Lucinde.
Stanislas de Barbeyrac, Léandre.
Boris Grappe, Sganarelle.
Ahlima Mhamdi, Martine.
Doris Lamprecht, Jacqueline.
José Pazos, Lucas.
Nicolas Carré, Valère.
Romaric Braun, Monsieur Robert.

Orchestre de la Suisse Romande.
Chœur du Grand Théâtre de Genève.
Alan Woodbridge, Chef de chœur.

Christine Ducq
Jeudi 14 Avril 2016
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