Théâtre

Un coup de griffe théâtral salvateur par un jeune collectif félin aux ambitions mordantes

Il faut parfois se servir d'un poignard pour se frayer un chemin", À la Générale, Paris

Reprise ! Un tout jeune collectif de comédiens, "M.I.A.O.U." (1), pétris de louables intentions et portant haut leurs revendications théâtrales, présente sa deuxième création (2), "Il faut parfois se servir d'un poignard pour se frayer un chemin", au Théâtre de Belleville. Il faut sans tarder aller les voir et les entendre car ils sont bourrés d'un talent prometteur et ils y sont pour très peu de temps.



© Soledad Pino.
S'emparer ainsi, avec un tel enthousiasme, d'un texte aussi déjanté que celui du brésilien Roberto Alvim, il fallait oser. Et ils l'ont fait. À l'ère des problèmes économiques et des prisons surpeuplés, comment effectuer une relance de l'économie ? Sachant que le capital n'est jamais aussi fort que face à des menaces, rien de mieux que de se créer de nouveaux ennemis, même s'ils sont factices... surtout s'ils sont factices ! C'est ainsi qu'un secrétaire d'État à la sécurité publique initie la création d'une cellule révolutionnaire terroriste afin que celle-ci génère une insécurité toujours bonne pour les affaires.

À partir de ce moment-là, tout part en vrille et l'écriture de Roberto Alvim, tissée d'humour, d'un brin de cynisme et d'ironie virtuose, nous embarque dans une histoire où la section subversive prend le paradoxal nom de "Club Mickey" et décide de s'attaquer - à coups de poignards, of course ! - à un "boys band" se nommant TNT. Cela aurait pu friser le ridicule, voire le catastrophique si nos joyeux et jeunes membres du collectif "M.I.A.O.U." n'avaient pris avec une vitalité, un sérieux empreint de naturel et une justesse déconcertante, l'interprétation de cette pièce qui, plus qu'à d'autres, pouvait leur parler. Comédiennes et comédiens prennent à bras-le-corps chacun des rôles avec un talent consciencieux et nous offre, durant 1 h 30, l'expression d'un jeu rafraîchissant, bourré d'énergie et d'audace… et d'une impertinente sincérité.

© Soledad Pino.
La mise en scène judicieuse et tout en finesse d'Alexis Lameda-Waksmann avec une occupation géographique et cinématographique de l'espace met bien en évidence le traitement par focales différentes des situations/actions : premier plan évoquant le plan américain (là où les décisions importantes se prennent ou quand les relations surfent sur l'intime) et les second, troisième et quatrième plans jusqu'au plan global de fond de scène avec l'utilisation en direct de Skype (en vidéo-projection) donnant la portée dramatique, tragique des évènements (dans leurs déroulements communs ou ordinaires) sur les différents protagonistes.

Ce "dispositif" facilite la mise en abyme du spectacle dans le spectacle, expurger le monde du show (show-biz avec ici la caricature de ce que furent les "boys band") pour en extraire ce sacro-saint modèle de "réussite à tout prix" incarné aujourd'hui par les "télé stars" et autres méga buzz sur les réseaux sociaux. Il montre, au-delà de la manipulation, de l'enrôlement et de la propagande propres aux sphères du pouvoir, comment le terrorisme donne à voir aussi une forme de représentation et d'utopie pour une jeunesse en mal d'idéal, en proie au désespoir et sans avenir.

© Soledad Pino.
La proposition est inventive et évite l'écueil "donneur de leçon". Ici, pas de réponses, pas de prises de positions "pour ou contre"… Mais un flot de questions que les nouvelles générations sont en droit de se poser aujourd'hui sur les mécanismes pervers de soumission et de réduction de la pensée individuelle que met en place, volontairement ou pas, la société, ses gouvernants et surtout ceux qui possèdent le pouvoir financier. Et sans rentrer directement dans le débat des fanatismes (religieux ou autres) et de la violence au quotidien, le groupe "M.I.A.O.U." pose la cruelle question : "doit-on nécessairement tuer l'autre pour avoir l'impression, ne serait-ce qu'un instant, d'exister ?".

(1) Groupe M.I.A.O.U. : Mouvement d’interprétation artistique originale et utile.
(2) "Un monde qui s’efface", projet présenté dans le cadre de "Premières lignes" le 13 janvier 2015 à L'Atelier à spectacles, Scène conventionnée de l'Agglo du Pays de Dreux, Vernouillet (28).

"Il faut parfois se servir d'un poignard pour se frayer un chemin"

© Soledad Pino.
Texte : Roberto Alvim.
Traduction : Angela Leite Lopez.
Mise en scène : Alexis Lameda-Waksmann.
Avec : Rachel André, Celia Catalifo, Majid Chikh-Miloud, Eugène Durif, Adrien Gamba-Gontard, Claire Lemaire, Guillaume Perez, Benjamin Tholozan et Julien Urrutia.
Ambiance sonore : Mathias Lameda.
Paroles de chansons : Matthieu Devaux, Guillaume Perez, Thomas Poitevin, Benjamin Tholozan.
Mise en musique des chansons : Matthieu Devaux.
Costumes : Emmanuelle Belkadi.
Lumières : Florent Penide.
Production : Groupe M.I.A.O.U. (Mouvement d’interprétation artistique originale et utile).
Durée : 1 h 30.

© Soledad Pino.
Du 27 Janvier au 14 Février 2016.
Du mercredi au samedi à 21 h 15, dimanche à 20 h 30.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

>> groupemiaou.com

Reprise !
Du 2 au 5 novembre 2016.
Dans le cadre de la 2e édition du Festival Éveil d’Automne.
Mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 17 h.
À la Générale (lieu de coopérative artistique), Paris 11e,
Entrée en libre participation sur réservation.
reservation@lebureautrois.com
>> lagenerale.fr

Gil Chauveau
Mardi 18 Octobre 2016
Dans la même rubrique :