Théâtre

Un art des pérégrinations symboliques reliant les imaginaires des hommes et des femmes

"Le Testament de Marie", Théâtre de l'Odéon, Paris

Dans "Le Testament de Marie", l'auteur, Colm Toibin, restitue l'intimité d'une femme brisée. Sa raison, sa sensibilité, ses souvenirs sont travaillés par la brutalité des événements. Le spectacle de la metteure en scène Deborah Warner est débarrassé de tout sulpicianisme…



© Ruth Walz.
Il cerne à partir des bribes et des déchirures des récits évangéliques une manière de révélation, une authenticité de Marie très éloignée de l'enveloppe de gloire de réputation et de légende : de mythification.

Cette Marie, mère de son fils célèbre sauveur du Monde, est traquée dans son deuil, sa vieillesse, sa solitude par un manteau de légende et un flux de pèlerinage intéressé à son témoignage. Qui est bien fragile car Marie est restée à ce point choquée qu'elle doute même de la réalité des événements.

Le personnage prend un poids d'évidence. S'attachant à la personne et non à l'icône, Dominique Blanc, dans une sensibilité toute contemporaine, parcourt tous les cheminements, les errances du personnage. Elle porte parole, porte plaidoirie. Pour Marie. Mater dolorosa à jamais.

© Ruth Walz.
En prologue, le public peut circuler sur le plateau à la découverte des éléments de décor, les coulisses, les accessoires. Le Deus ex machina, avec le pouvoir de l'illusion et de révélation qui le caractérise, montre ses trucs, montre dans leur matérialité les reliques d'une histoire à venir, passée. Avant d'agir. Magnifiquement.

Comme en miroir d'un pèlerinage oublié, la scénographie de Tom Pye et Jean Kalman a la légèreté d'une brise. Elle est comme une caresse de l'âme. Ou bien la dureté du métal. Elle est cruauté du destin. Dans sa respiration, elle offre un écrin renouvelé, décontextualisé et beau à l'humanité de Marie. C'est un juste retour des choses.

Le spectateur se trouve en pleine empathie avec le récit de cette mère et découvre une manière de sortir des rumeurs, d'un état du monde où ne s'engendrent que des récits guidés, dictés par les hommes, dont les femmes ne sont que des instruments ou des ornements.

C'est aussi un hommage appuyé au théâtre. Cet art des pérégrinations symboliques qui relie les imaginaires des hommes et des femmes à égalité dans la réciprocité des sensibilités et des perceptions.

"Le Testament de Marie"

© Ruth Walz.
Texte : Colm Tóibín.
Traduction française : Anna Gibson.
Mise en scène : Deborah Warner.
Assistante mise en scène : Alison Hornus.
Avec : Dominique Blanc, de la Comédie-Française.
Scénographie originale : Tom Pye.
Collaboration à la scénographie : Justin Nardella.
Lumière : Jean Kalman.
Costumes : Chloé Obolensky.
Musique, son : Mel Mercier.
Durée : 1 h 20 environ.

© Ruth Walz.
Du 5 mai au 3 juin 2017.
Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h.
Odéon Théâtre de l'Europe, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Mercredi 10 Mai 2017
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