Lyrique

"Tristan et Isolde" à Pleyel : "Désirer au sein de la mort et non mourir de désir"*

Donc ce fut un jeune chef finlandais de trente-trois ans, Mikko Franck, en remplacement du directeur de l’orchestre Myung-Whun Chung ce samedi 13 octobre, et on comprend pourquoi. Les relations entre le jeune chef finlandais et l’Orchestre de Radio France sont étroites : ils ont enregistré en 2009 un CD consacré à Claude Debussy et ont donné "Tosca" aux Chorégies d’Orange en 2010.



Orchestre Philharmonique de Radio France, saison 2010/11 © JR Leclercq.
L’osmose est complète entre eux, on le sent très vite, dès le prélude du drame musical de Richard Wagner. Le choix d’une direction suave, plus romantique que vénéneuse en a surpris plus d’un. Mais pourquoi pas ? C’est à une dramaturgie inédite de la passion que nous sommes invités, épousant tous les élans de l’âme.

Les cordes ne sont pas exagérément nerveuses, ni le rythme trop alangui pour les fameux leitmotive du philtre et de la passion. L’acte deux est superbe de raffinement chromatique et de couleurs. L’acte trois, si impressionnant, épouse tous les mouvements du désir douloureux et de la soif d’anéantissement. Les bois, les percussions et les cuivres sont brillants, fougueux, puis se font l’écho des déchirements intérieurs des héros, jusqu’à la dissolution finale. Comme c’est le "Tristan" mythique, tous les amants - nombreux - de cet opéra sont là. Ils brûlent de faire des comparaisons avec la version concert donnée au théâtre des Champs-Élysées peu de mois auparavant. Certains même, de retour de Bayreuth, ose le parallèle avec un "Tristan" qui n’a pourtant pas laissé un souvenir grandiose aux impétrants.

Nina Stemme © Tanja Niemann 2012.
L’envie de comparer disparaît très vite tant la distribution des voix ce soir-là à Pleyel est enchanteresse. Isolde, c’est la soprano dramatique Nina Stemme : force, sens de la nuance, tessiture large - quoiqu’on entend mal parfois les notes plus basses à l’acte un. Plus que convaincante cependant, la chanteuse suédoise nous fait l’offrande de sa voix lumineuse et incisive. Et puis il y a la révélation Christian Franz en Tristan. Une révélation pour les Français, mais déjà heldentenor (ou ténor héroïque wagnérien) adoubé à Bayreuth. On le comprend aussi : depuis la mort en 1974 de Wolfgang Windgassen, depuis quand n’avait-on eu la chance d’admirer une telle voix aux timbres éclatants, puissante et subtile quand il le faut ? Un niveau exceptionnel : c’est tout naturellement que l’on pense à Windgassen (qui n’avait pas été remplacé jusqu’alors). C’est dire ! Un génie technique si évident, un instinct si passionné de l’interprétation, un engagement du chanteur dans le rôle alors qu’il s’agit d’une version concert, ne courent pas les rues. Christian Franz nous a donné de suprêmes émotions.

Au bout de quatre heures d’enivrement et d’extase - eh oui ! -, le chœur de Radio France, Mikko Franck et l’Orchestre, les chanteurs bien-sûr ont eu droit à un quart d’heure de standing ovation. C’était plus que mérité.

*Tristan, acte III

Opéra en version concert entendu le 13 octobre 2012.
"Tristan und Isolde"
Drame musical en 3 actes de Richard Wagner.
Livret du compositeur. En version concert.
Salle Pleyel, Paris 8e, 01 42 56 13 13.
>> sallepleyel.fr

Distribution :
Nina Stemme, soprano : Isolde.
Christian Franz, ténor : Tristan.
Sarah Connolly, mezzo-soprano : Brangäne.
Richard Berkeley-Steel, ténor : Melot.
Detlef Roth, baryton : Kurwenal.
Peter Rose, basse : Le roi Marke.

Chœur de Radio France.
Matthias Brauer, chef de chœur.
Orchestre Philharmonique de Radio France.
Mikko Franck, direction.

Concert diffusé en direct sur France Musique le 13 octobre 2012 qu'il est possible de réécouter sur son site.

Christine Ducq
Jeudi 18 Octobre 2012
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