Théâtre

"Toujours la tempête"... Une passionnante épopée où le récit familial rencontre le mythe

"Toujours la tempête", Théâtre de l'Odéon Ateliers Berthier, Paris

Peter Handke donne à partager une histoire pleine d'émotion palpitante et belle et triste. Celle d'une famille déchirée, isolée dans une région oubliée de l'Histoire, martyrisée par la poussée des empires qui la jouxte. Celle de la Carinthie autrichienne, étranglée durant la Deuxième Guerre mondiale entre nazis et partisans, entre allemands et yougoslaves…



© Michel Corbou.
Si le sujet est aride, l'écriture de Peter Handke est des plus équilibrées. En cinq tableaux, l'auteur explique les tenants et les aboutissants tout en faisant ressortir les caractères forts, les individualités de personnes simples, fières de leur langue et de leurs coutumes. Avec méthode et tact, Peter Handke lève un voile et rend sensibles les liens d'amours qui unissent tous les membres de cette famille précipitée dans le chaos. Obligés dans l'incertitude du lendemain à choisir leurs camps, ils verront naître, pourtant dans ces temps de déchirement, paradoxal, un enfant de l'amour. L'auteur lui-même.

Peter Handke est parti à la recherche de ses origines, veut recoudre le passé et, sous le couvert d'un conteur, il appelle au souvenir ses ancêtres. À la manière d'un coryphée, c'est un moi intime singulier qui se raconte.

Le traitement par Alain Françon qui met en scène est tout imprégné de la douceur du souvenir. La scène figure un tertre à la terre érodée, plein d'ornières : marques du temps qui a passé.

© Michel Corbou.
Dans cette approche du théâtre témoignage, les comédiens (ils sont formidables), dans une cohésion de distribution rare et un surcroit de sentiment, partagé font vivre l'urgence. Le temps tempétueux qui divise et le temps de l'urgence de vivre, de dire, de rire, de se tenir debout, droit. Ils font ressentir le temps lent du labeur et sa pesanteur : le temps d'Hésiode, le temps de l'âge d'or. Le temps de l'oubli, le temps de la remémoration et de l'affection.

Le spectateur assiste à une passionnante épopée où le récit familial rencontre le mythe : chacun portant son poids de destinée et son épaisseur de tragédie.

"Toujours la tempête" est beau comme l'antique. Les yeux du spectateur s'embuent d'émotion et à la toute fin les ancêtres de Peter Handke sont nôtres. Comme on les rêve en des ruines apaisantes, comme des Philémon et Baucis qui auraient survécu à la perte de leur verger.

"Toujours la tempête"

© Michel Corbou.
Texte : Peter Handke.
Traduction : Olivier Le Lay.
Mise en scène : Alain Françon.
Collaboration à la mise en scène : Nicolas Doutey.
Avec : Pierre-Félix Gravière, Gilles Privat, Dominique Reymond, Stanislas Stanic, Laurent Stocker de la Comédie-Française, Nada Strancar, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff.
Musiciens : Floriane Bonanni, Philip James Glenister, Renaud Guieu, Benjamin Mc Connell, Julien Podolak, Thierry Serra.

Décor : Jacques Gabel.

Costumes : Sarah Leterrier.

Lumière : Joël Hourbeigt.

Musique : Marie-Jeanne Séréro.

Chorégraphie : Caroline Marcadé.

Son : Léonard Françon.

Durée : 3 h 20 avec un entracte.

Du 4 mars au 2 avril 2015.
Du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h.
Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu/fr

Tournée
8 au 10 avril 2015 : La Comédie, CDN, Saint-Étienne (42).
15 et 16 avril 2015 : Maison de la culture, Amiens (80).
22 au 26 avril 2015 : TNN, Centre Dramatique National, Nice (06).
5 et 6 mai 2015 : La Comédie, scène nationale, Clermont-Ferrand (63).
17 au 21 septembre 2015 : MC2 :, Grenoble (38).

Jean Grapin
Jeudi 19 Mars 2015
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