Théâtre

Tornade et éructations de "chonchons" au Rond-Point

Remue-ménage, cris, règlements de compte... Le Théâtre du Rond-Point est sens dessus dessous avec "Orgueil, poursuite et décapitation" de Marion Aubert. Le spectateur aussi... Disons qu’un tourbillon de bêtises l’abrutit et un vent de mauvais goût ravage la scène !



"Orgueil, poursuite et décapitation" © Giovanni Cittadini Cesi
L'amorce, efficace, promettait pourtant une immersion dans un savoureux univers décalé, tout en fantaisie. Le ressort principal : la distanciation subtile d'un humour, corrosif à souhait. C'est sur une musique de fête ou de plateau télé qu'apparaissent les huit acteurs, avec l'air un peu ridicule de qui s'essaie à un cérémoniel vide de sens. Parfaitement synchro, guidés par un présentateur dynamique et déguisé comme un gentil organisateur, ils se livrent à une chorégraphie digne du "club med", bien huilée et superficielle au possible. Là-dessus, l'animateur commence à décrire tous les danseurs, qui ne sont autres que les personnages de la pièce à venir. Une ouverture tonitruante donc, habile à exhiber les fils de la représentation.

Le charme se poursuit dans la première scène. Changement d'esthétique : sans transition, une réunion de famille se dessine. Fidèle au sous-titre du spectacle ("comédie hystérique et familiale"), cette famille est hérissée de tensions et d'hypocrisie. Mais là encore, nul effet de réel. La situation est à peine posée que l'un des protagonistes se détache de l'action, rejoint l'avant du plateau et se met à médire des autres. Superbement incarnée par Elizabeth Mazev, la femme prolixe en injures bien musclés se révèle être la belle-mère. Sans surprise, c'est sa bru qui en fait les frais. Sans doute parce qu'elle est la seule à ne pas être affublée du grotesque outré des autres membres de la parentèle. Avec, en plus, le rythme haletant créé par la mise en scène de Marion Guerrero, le tout semblait emprunter une voie des plus plaisantes. Le déraillement n'en est que plus apparent et donc plus insupportable…

"Orgueil, poursuite et décapitation" © Giovanni Cittadini Cesi
Sans choc brutal, le désordre s'installe par paliers. Impossible donc de dire quand la ligne rouge est franchie. Amplifiés au fil des tableaux successifs, les principes de base de la mise en scène débouchent sur une surenchère difficilement soutenable de violence, de scatologie et de bêtise. C'est la progression de la mise en abîme qui semble surtout entraîner ce cortège infernal. À partir du moment où l'on apprend que la belle-fille, d'ailleurs incarnée par Marion Aubert elle-même, est aussi l'auteure de la pièce en train de se jouer, les choses se gâtent. Toujours fourrée auprès de ses créatures qu'elle nomme les « chonchons », la dramaturge déploie peu à peu son ego surdimensionné. Hystérique, elle finit par partager la stupidité de ses personnages à force de vouloir prouver sa supériorité sur eux. L'apogée du scabreux est atteint lorsque, poussée par une soif de pouvoir inouïe, l'auteure force un « chonchon » poissonnier à s'accoupler avec elle.

D'un jeu bon enfant, bien que banal à force d'être exploité, sur les conventions de la représentation théâtrale, on arrive alors à une orgie de vulgarité. Les spécimens benêts, sans doute symboles d'une humanité lobotomisée, sont eux aussi emportés dans la tornade. Leur grossièreté et leur imbécillité initiales se muent en une perversité dont ils ne sont pas conscients, accompagnée d'une cohorte de hurlements insensés. Sorte de patchwork où les saynètes successives n'ont presque aucun lien entre elles, la pièce de Marion Aubert donne le sentiment de n'être guère maîtrisée.

Un patron véreux et obsédé sexuel se délecte à insulter ses collèges. Un père de famille fait de même avec sa femme. Un couple malfaisant torture son fils simple d'esprit... Telles sont les charmantes parcelles de vie quotidienne qui nous sont données à voir. Les acteurs changent de rôle à chaque fragment pour un rejet supplémentaire des codes théâtraux : celui du couple acteur-personnage. Lourdes, ces remises en question du langage dramatique tournent au procédé.

La mise en scène est inventive, habile dans le changement constant des décors et fait contrepoids à l'horreur qui règne en maître. Mais, dans la tourmente, le jeu des acteurs devient confus. Leur agitation et leur violence gratuites ne parviennent qu'à excéder. Seuls Elizabeth Mazev et Dominique Parent excellent dans ces différents rôles de "râleur".

Vraiment étonnant que le Théâtre du Rond-Point se transforme à ce point en temple du mauvais goût. Bien dommage aussi. Car moins turbulents, moins obscènes, avec juste ce qu'il faut de niaiserie, les "chonchons" auraient pu donner lieu à une expérience intéressante...

"Orgueil, poursuite et décapitation (comédie hystérique et familiale) de Marion Aubert"

"Orgueil, poursuite et décapitation" © Giovanni Cittadini Cesi
(Vu le 08/06/2011)

Texte : Marion Aubert.
Mise en scène : Marion Guerrero, assistée de Virginie Barreteau.
Avec : Marion Aubert, Thomas Blanchard, Elizabeth Mazev, Adama Diop, Capucine Ducastelle, Olivier Martin-Salvan, Sabine Moindrot, Dominique Parent.
Scénographie : Nicolas Hénault.
Costumes : Marie-Frédérique Fillion.
Lumières : Olivier Modol.
Son : Antonin Clair.
Régie plateau : Nicolas Tallès et Nicolas Buisson.

Du 31 mai au 2 juillet.
Théâtre du Rond-Point, Paris 8e.
Réservations : 01 44 95 98 21.
www.theatredurondpoint.fr

Anaïs Heluin
Mardi 14 Juin 2011
Dans la même rubrique :