Théâtre

"Tartuffe"… dévotion ? Tout de travers !

"Tartuffe", Théâtre de l'Odéon, Paris

Il y a des classiques que l’on croit connaître sur le bout des répliques et pourtant, quand la mise en scène est faite par un grand metteur en scène comme Luc Bondy, c’est une redécouverte. Tartuffe se dévoile sous un nouvel aspect et une nouvelle allure.



© Thierry Depagne.
Ce n’est pas tartufferie que ce théâtre-là. Le jeu de mots était facile* mais le grand Luc Bondy, qui a malheureusement disparu le 28 novembre dernier, ne nous a pas quittés pour autant. "Othello", devant être mis en scène par Bondy, a été remplacé par "Tartuffe" qui avait été joué en mars 2014. La distribution a été revue en grande partie mais toujours avec Micha Lescot dans le rôle-titre de Tartuffe.

Il ne manque pas d’audace ce Tartuffe. Car, original et surprenant. Il n’a pas la figure du dévot austère, intransigeant, à cheval autant sur les affaires religieuses, sans les suivre, que sur le maintien corporel. Non… presque un jeune homme à l’allure nonchalante, traînant quelque peu des pieds, les mains dans les poches, pas rasé, les poils recouvrant généreusement le menton. Un dévot presque branché. Voilà notre Tartuffe dépoussiéré par Bondy, faisant peau neuve.

Quelques remaniements très légers habillent le texte d’un cachet humoristique et la mise en scène s’appuie sur ceux-ci pour apporter du rythme comme quand Tartuffe arrive accompagné d’un jeune enfant qui récite à sa place les bonnes prières apprises deux minutes auparavant. Tartuffe est parole et non action.

© Thierry Depagne.
La scénographie découvre une pièce dont le carrelage est à carreaux noirs et blancs. Une grande table est au centre où les personnages sont attablés.

En arrière-fond, les servantes ont un rôle bien marqué. Loin d’être anodines, elles interviennent de façon très discrète, plumeau à la main ou de façon plus hardie, poussant le fauteuil roulant de Mme Pernelle (Christiane Cohendy), mais toujours dans une approche qui cadre la scène dans ses contours, lui donnant une couleur, un parfum.

Les vers de Molière sont appuyés par le jeu corporel des personnages. L’approche de Tartuffe à l’égard d’Elmire est très physique, voire sexuelle. Les personnages sont dans des relations où la spontanéité, la franchise tranchent avec l’hypocrisie et la fausseté de Tartuffe. Le corps parle vrai quand les propos peuvent être trompeurs ou retenus. C’est aussi Tartuffe qui se joue d’une situation délicate devant Orgon (Samuel Labarthe) dans une scène où la théâtralité se dispute avec une "passion" subite de culpabilité jouée de façon exquise.

© Thierry Depagne.
De même, les décors sont utilisés pour marquer les situations ou les émotions. On tape des poings sur le corps ou sur la table, on s’y cache, on joue avec les rideaux, on utilise un plumeau ou un fauteuil roulant, on crache pour marquer son courroux, son indiscrétion, son désaccord ou son mépris. Le décor, l’allure des personnages, tout, corps et parole, participent à cette cathédrale des délits et des mensonges où la religion, encore, est utilisée à des fins qui laisseraient pendus Jésus, Moïse et aujourd’hui Mahomet sur leurs croix.
Et le talent reste ! D’ailleurs qui a dit que Luc Bondy était parti ?

*Si, si… je le reconnais dévotement !

"Tartuffe"

© Thierry Depagne.
Texte : Molière.
Mise en scène : Luc Bondy.
Collaboration à la mise en scène : Marie-Louise Bischofberger Bondy.
Conseiller artistique : Vincent Huguet.
Assistante à la mise en scène : Sophie Lecarpentier.
Avec : Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Audrey Fleurot, Laurent Grévill, Nathalie Kousnetzoff, Samuel Labarthe, Yannik Landrein, Micha Lescot, Sylvain Levitte, Yasmine Nadifi, Chantal Neuwirth, Fred Ulysse, Pierre Yvon.
Décor : Richard Peduzzi, assisté de Clémence Bezat.
Costumes : Eva Dessecker.
Lumière : Dominique Bruguière, assistée de Cathy Pariselle.
Maquillages/coiffures : Cécile Kretschmar.
Durée : 1 h 50.

Du 28 janvier au 25 mars 2016.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Odéon Théâtre de l'Europe, Ateliers Berthier, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Safidin Alouache
Vendredi 12 Février 2016
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