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"Tangente" Disparaître, partir sans se retourner… pour vivre une nouvelle vie

"Pars, surtout ne te retourne pas. Pars, fais ce que tu dois faire sans moi.
Quoi qu'il arrive je serai toujours avec toi. Alors pars et surtout ne te retourne pas." (Le grand) Jacques Higelin. Partir sans se retourner. Qui ne s'est pas posé cette question au moins une fois dans sa vie ?



Avec ce monde qui part en vrille totale (tiens !), qui ne se dit pas ? : "Je vais aller voir ailleurs où j'en suis", mais cet "ailleurs" est-il meilleur ? Dans le monde d'aujourd'hui, c'est une question bien difficile. Il suffit de jeter, ne serait-ce qu'un œil, sur les nouvelles désastreuses qui, chaque jour, défilent. Fuir.

Dans "Tangente", cette femme qui disparaît du jour au lendemain, laissant à la maison son mari et son enfant, est à bout. On ne sait pas très bien ce qui la pousse à fuir, de nombreux scénarios sont possibles. Et pourquoi pas, juste, avoir envie de vivre une nouvelle vie, la sienne, sans code, sans leçon, sans obligation ? En a-t-elle les moyens ? Il semblerait que oui bien qu'on la retrouve à un moment moulée dans une tenue courte et sexy, saoulée au Gin près d'un guitariste (excellent musicien Lucas Frébourg), dans un pub minable où se succèdent des clients désireux de se vider les poches dans tous les sens du terme. Elle se cherche. Comme une ado. Une autre vie que celle de la femme bien mariée, bien "maman", bien rangée. Et elle fuit de nouveau.

© Maxime Girard.
On croit à un retour dans cette prison dorée auprès du mari chagriné et complètement paumé face au nouveau rôle qu'il doit, seul, assumer : élever son enfant. On croit à ce retour, car cette vie, encore, semble lui manquer, mais non. Elle a fait appel à un homme, débarrasseur de profession, lui-même ayant fui un jour aussi. Il comprend. Tous deux se sont compris. Cet homme et cette femme (Justine Paillot et Édouard Michelon, très justes et très impliqués dans cette pièce) se revoient. Lui est parti depuis longtemps et quand leurs chemins se recroisent, il tenterait bien une aventure avec elle… ça ne l'intéresse pas.

Lookée d'un imperméable, jeans et baskets, son expérience de serveuse derrière elle, elle se demande si retourner de là où elle est partie ne serait pas mieux. Paumée, elle l'est !
Bien qu'hésitante, c'est trop tard ! L'habitude est prise. Le mal est fait. Les abandonnés en ont pris leur parti. Celle qui a fui, aussi. C'est la vie. Désormais la sienne. Celle qu'elle choisit.

© Maxime Girard.
On ne sait pas ce qui a poussé cette femme à partir du jour au lendemain et c'est ce que révèle ce spectacle. Personne ne sait jamais. On ne connaît pas vraiment les gens, mariés, ou non l'individu est complexe et chacun réagit différemment face à cette société et aux couleurs sombres qu'elle porte avec elle. Le mari aimerait comprendre, mais ne comprendra pas, l'enfant pose des questions auxquelles nul ne peut répondre et ainsi va la vie…

Prendre la tangente, c'est se sauver sans être vu. C'est ce que fait cette femme. Cette femme n'a pas de prénom. Personne n'a de prénom. C'est là la réussite. Je lis le dossier de presse et je souligne ceci : "disparaître est un droit et une liberté". C'est exactement ça ! C'est ce que dit ce spectacle et l'autrice de talent qui a écrit pour ce droit.

"Tangente"

© Maxime Girard.
Texte : Nina Chataignier, publié aux Éditions Koïnè.
Adaptation : Robert Rizo.
Mise en scène : Robert Rizo.
Avec : Justine Paillot, Édouard Michelon, Robert Rizo, Lucas Frébourg (musique).
Lumières : Estelle Pancher.
Musique : Lucas Frébourg.
Vidéo : Camille Ringuet.
Durée : 1 h 15.

Du 2 au 25 octobre 2022.
Du dimanche au mardi à 19 h.
Théâtre Les Déchargeurs, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 50.
>> lesdechargeurs.fr

Isabelle Lauriou
Jeudi 20 Octobre 2022
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