Théâtre

Sur un air de jazz, la java des cœurs amoureux...

"La Surprise de l'Amour", Théâtre de Belleville, Paris

[Reprise] Pour sûr, en 1722, le jazz n'était pas là... mais la java oui ! La java des cœurs amoureux, ceux qui se dévoilent et ceux qui se voilent, d'où naissent les passions qui se disent ou celles encore indécises que l'on voudrait taire... C'est là toute "La Surprise de l'Amour" ! Aude Macé et la Cie le Fil a Tissé ne s'y sont pas trompées en s'emparant, avec une jubilation toute jazzy, du texte de Marivaux.



© Émilie Deligne.
Ce qui préoccupe Marivaux, et qu'il nous donne à entendre dans cette pièce (comme dans de nombreuses autres), touche à la genèse du sentiment amoureux, à son éclosion fragile et à son évolution toujours sujette à l’incertitude. Comme une danse, une java des cœurs (qui avance puis recule et qui parfois piétine...) : ceux de Jacqueline et Pierre qui ont déjà cette presque certitude et revendique leur union, ceux de Colombine et Arlequin qui, au défi du jeu (de cache-cache), finiront (tout comme leurs "maître et maitresse" respectifs) par répondre présents et, enfin, ceux de Lélio et la Comtesse qui, déçu de leurs précédents engagements, peinent à laisser éclore leur "nouvel amour" naissant. Mais les sentiments de ces derniers, n'échappant dans un premier temps qu'à eux, ne seront pas invisibles aux autres qui, pour libérer les cœurs prisonniers, ne pourront s'empêcher d'en "jaser" (ou révéler ce que l'on aurait dû taire)... et d'en jazzer !

© Émilie Deligne.
De ces variations amoureuses, Aude Macé va écrire une mise en scène - musicale partition – toute en finesse et en précision où l'improvisation ne peut s'exercer, comme sur une grille d'accords jazzy, sans la perfection et la maîtrise du jeu. De ce qui aurait pu paraître audacieux, elle (et la Cie) nous offre une création juste et précise, prenant soin d'effectuer des choix musicaux ne perturbant à aucun moment la dynamique et la musicalité de la langue de Marivaux : un texte qui, dans son rythme même, donne déjà le sens de l'action. Mais ce parti-pris n'aurait pas pu être une réussite sans le talent des comédiens de la compagnie. Chaque rôle étant parfaitement distribué, chacun prend possession, avec une énergie pleine de fraîcheur, de simplicité mais déjà d'un professionnalisme affirmé, de son personnage et l'emmène, entre humour et tension bouleversante, sur le fil chromatique des notes bleues d'un jazz majeur. Et le verbe de Marivaux, dans l'expression de leurs jeux respectifs, prend alors la légitimité d'un accord de septième augmentée ! Que ce soit la prestance du Baron (Édouard Michelon), rappelant Joel Grey (le maître de cérémonie) dans "Cabaret" de Bob Fosse, ou Jacqueline (Julie Duquenoÿ) nous laissant entendre quelques mélodiques notes vocales, ou encore Pierre (Mathieu Graham) à la trompette, l'ensemble est fluide, souple et coule sur la musique gracieusement... Et l'arrivée presque attendue de Glenn Miller soutient même le rythme parfois un peu "speedé" d'un Lelio (Mathieu Héridel) luttant désespérément une dernière fois contre son cœur. Sur une partition réputée difficile, l'adaptation moderne d'un classique, qui plus est en le collant à un style musical classifié, la Cie Le Fil a Tissé et Aude Macé à la mise en scène réussissent à ne commettre aucune fausse note... Décidément, le cours de théâtre Claude Mathieu nous réserve de bonnes surprises... Après la Savaneskise issue également de ses rangs, c'est au tour (et dans le même théâtre) de la Cie Le Fil a Tissé de nous proposer une pièce du répertoire, à la sauce jazzy cette fois-ci, adaptée et jouée par de jeunes comédiens "plus que prometteurs".

"La Surprise de l'Amour"

© Émilie Deligne.
(Vu le 2 mars 2011)

Texte : Marivaux.
Mise en scène : Aude Macé.
Avec : Laura Chiche, Julie Duquenoÿ, Mathieu Graham, Mathieu Héribel, Édouard Michelon, Aurélie Noblesse, Clément Séjouré.
Création lumière : Julie Duquenoÿ.

A été joué du 4 janvier au 30 mars 2011, les mardis et mercredis à 21 h 15.
Théâtre du Marais, Paris 3e, 01 44 45 88 42.

Reprise les 3 et 4 juin 2012 à 21 h.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

Gil Chauveau
Mercredi 30 Mars 2011
Dans la même rubrique :