Théâtre

Sur le mince fil de l'errance anorexique... l'espoir joue l'équilibriste

"Annabelle M, une histoire sans faim", Théâtre des Mathurins, Paris

Seul en scène, Annabelle M est dans sa cuisine, heureuse. De ce bonheur radieux issu de ces combats gagnés, de ceux dont on sort rarement victorieux, mais dont, plutôt, habituellement on meurt. Ce combat victorieux ? Contre l'anorexie mentale, cette maladie qui barre si souvent l'adolescence d'un maigre trait définitif. Mais, elle, Annabelle M, s'en est sorti... elle nous raconte, et nous parle d'espoir.



Sandie Masson © Pascaline Dargant.
Sur une musique douce en lumineux décor sonore, Annabelle fait une tarte aux pommes, une tarte à l'enfance, de ses desserts qui, s'ils sont réussis, nous font passer de gourmands à gourmets. Annabelle est heureuse... Malgré la pluie, "Il pleut (…), Aujourd'hui, je vis... chaque fois qu'il pleut, je ris...". Sourire radieux à l'extérieur, prodigieux à l'intérieur, presque jubilatoire, Annabelle M est une rescapée, une survivante de l'anorexie, maladie aux causes multiples où se mêlent différents troubles psychologiques comme un besoin de perfectionnisme, une volonté de contrôle, une mauvaise estime de soi, des traumatismes d’ordre sexuel et, souvent, de graves difficultés dans le mode de relations aux autres, aux proches (parents notamment).

Mais ici, c'est le chemin qui mène à la victoire que va nous raconter Annabelle/Sandie. Car cette histoire - qu'elle a décidé un jour d'écrire (en collaboration avec Fred Nony) - appartient intimement à Sandie Masson. Un besoin d'exprimer cette chronique d'une mort annoncée pour, avec humanité et sensibilité, mieux parler d'espoir... Et, en donnant une théâtralité à un récit vécu douloureux, porter peut-être auprès des deux principaux publics concernés (ados et parents), un message d'espérance que seule l'encre de l'amour peut écrire.

Sandie Masson © Pascaline Dargant.
À rebours, comme pour mieux désamorcer ses peurs encore existantes, elle va nous faire voir/entendre les personnages, les situations, les rencontres qui ont été les vecteurs probables (mais pas les seuls) à l'origine de cette maladie, mais aussi ceux, primordiaux, qui l'ont guidés vers la guérison. Et sur ce mince fil de l'errance anorexique, Sandie Masson joue l'équilibriste avec une fluidité rare. Sur une partition en flash-back, elle accroche ses notes teintées alternativement de détresse et d'humour. Tout en sensibilité, les émotions frôlent les notes basses en mode mineur - la note bleue ? - sans toujours l'espoir évident de passer en majeur. Pourtant, le do majeur n'est pas loin et la musique des mots sait prendre aussi un phrasé enjoué en altération augmenté où le noir dessein pointé peut se transformer une blanche... autodérision salvatrice !

L'écriture est juste, tout en finesse et sans concession... Et son jeu, tout en profondeur, sans jamais tombé dans l'excès. Chacun des personnages que Sandie Masson interprète prend sa place, de manière naturelle, sans que le trait soit forcé mais plutôt construit sur des trames intérieurs tissées sur le lacet tortueux du chemin parcouru - traversé parfois du violent parfum de la solitude -, sur les situations vécus... Et quels lieux plus emblématiques qu'une cuisine ou une salle de restaurant pour mettre en scène l'inappétence destructrice, lieux où espoir et désespoir feront leur entrée... Et étrangement, au fur à mesure de la succession des scènes, on ressent la justesse de l'ambiance lumineuse général qui, subtilement, en fonction des scènes, passe du noir et blanc à la couleur.

Sandie Masson © Pascaline Dargant.
"Les dictatures sont faites pour être renversées. La dictature du corps comme les autres." C'est sans aucun doute dans cette phrase dite par un des professeurs d'Annabelle que se trouve l'essence, la genèse de la guérison... de la victoire. Car quoi de mieux pour vaincre le désespoir ultime que l'amour de la vie, l'amour de soi, l'amour de la liberté, l'amour tout simplement.
C'est ce chant là, cette musique libératrice que nous donne à entendre Sandie Masson, avec cette lucidité et cette générosité propres aux femmes (mais les hommes aussi aujourd'hui) qui ont construit leur avenir sur les ferments fertiles des souffrances dépassées et des victoires chèrement payées. Un spectacle qui devrait, sans attendre, être vu par les adolescents... et leurs parents. Sur le mince fil de l'errance anorexique... l'espoir joue l'équilibriste... Et comme le talentueux funambule... réussit !

"Annabelle M, une histoire sans faim"

Sandie Masson © Pascaline Dargant.
(Vu le 11 septembre 2011)
Texte : Sandie Masson et Fred Nony.
Mise en scène : Agnès Boury.
Avec : Sandie Masson.
Illustration sonore : Alain Klinger et Étienne Dos Santos.
Lumière et scénographie : Philippe Quillet.

Spectacle à partir du 11 septembre 2011.
Dimanche à 17 h et le lundi à 19 h.
Théâtre des Mathurins, Paris 8e, 01 42 65 90 00.
>> www.theatredesmathurins.com

Gil Chauveau
Jeudi 29 Septembre 2011
Dans la même rubrique :