Concerts

Sébastien Daucé et l’ensemble "Correspondances" à Royaumont : "O Suavis melodia"

Le premier concert nocturne de la saison musicale de Royaumont a enchanté les yeux et les oreilles de l’auditoire grâce à son cadre magique - l’Abbaye royale sous les étoiles - et à l’Ensemble "Correspondances" fondé en 2009 par Sébastien Daucé qui le dirige.



Ensemble Correspondances © Agathe Poupeney.
Cet ensemble est composé de vingt membres, spécialistes du répertoire de musique religieuse français du XVIIe siècle, dont Marc-Antoine Charpentier et Boesset. Reconnu et choyé par la critique, "Correspondances" a déjà gravé de nombreux CD. C’est donc tout naturellement que le programme de samedi dernier présentait un oratorio de Marc-Antoine Charpentier - mais si, vous connaissez ! Le "Te Deum" qui ouvre les Eurovisions, c’est lui ! Cet oratorio est une histoire sacrée : "L’Histoire de Sainte Cécile, Vierge et Martyre", dont le pitch tient en quelques mots (Il était une fois une jeune romaine qui préféra être brûlée vive plutôt que renoncer au christianisme - Quelle idée… !).

M.-A. Charpentier, génie baroque du Grand Siècle, a été grandement inspiré par des maîtres italiens durant son séjour d’étude à Rome : c’est ce qu’a démontré la totalité de la programmation de ce fort instructif concert. Nous avons pu ainsi découvrir des œuvres de Giamberti, Foggia et Melani, éclairant cet héritage romain. Pour le plus grand plaisir du public, à qui ces noms ne seront plus inconnus.

Ensemble Correspondances © Agathe Poupeney.
Qu’est-ce qu’un oratorio, me demanderez-vous ? Il descend en droite ligne du grand motet. C’est une véritable œuvre lyrique dramatique - proche de l’opéra - mais représentée sans mise en scène, sans costumes, sans décors. Et c’est M.-A. Charpentier qui introduit le genre en France, tout imprégné du contexte de la Contre-Réforme. "L’Histoire de Sainte-Cécile" est un bon exemple de l’originalité du musicien français, apte à contrecarrer la tyrannie de Lully sur la musique officielle. Quand ce dernier se brouille avec Molière, puis meurt, Charpentier peut enfin entreprendre à la cour de Louis XIV une collaboration avec notre dramaturge national - pour les comédies-ballets par exemple !

Alors ce voyage romain, qu’apporte-t-il à l’esprit français ? Avec la Contre-Réforme, il faut - dans tous les arts - à force de splendeur (voire de bling-bling !) empêcher la fuite des âmes en Protestandie. Du coup, les artistes ne ménagent pas leurs efforts pour charmer, surprendre, attacher. Dans les œuvres des maîtres italiens et de Marc-Antoine Charpentier, ce qui frappe c’est la suavité, la sensualité des voix et de l’accompagnement musical, mêlées à l’éloquence et à la spiritualité la plus haute. Ce serait, si vous voulez, comparable à la "Sainte-Thérèse" en extase - très sexe ? - du Bernin.

Les œuvres défendues par Sébastien Daucé et son ensemble brillent donc de mille feux de par leurs écritures très dramatiques, les ornements des voix, parfois en double chœur (pour l’oratorio entre autres). Un prodige de la polychoralité en ses harmonies subtiles, ses contrastes qui ravissent les cœurs. Un concert spirituel donc et un vrai théâtre de la grâce, un cadeau que nous ont fait ces jeunes artistes - ils ont trente ans en moyenne - avec les voix angéliques (dessus, haute-contre) répondant aux timbres plus graves, s’y mêlant à l’unisson, et s’en échappant. Toutes avec un admirable phrasé.

Ensemble Correspondances en répétition © DR.
Jetée hors du temps et de l’espace, je me suis prise à rêver : ces voix sublimes ont-elles réveillé les ombres de ces moines qui écoutaient peut-être cette même musique, plusieurs siècles auparavant ? Les spectateurs ont connu cette même extase, d’autant plus que les concerts sont donnés dans le réfectoire desdits moines, beau comme la nef d’une cathédrale. Je salue ici le prodigieux travail, la complicité, la quasi-perfection technique de ces jeunes gens (chanteurs et musiciens sur instruments anciens : à voir !), familiers de ce répertoire de musique religieuse : ce "Motet pour Madeleine" de Charpentier, ces "Litanies a 9" d’Alessandro Melani. Œuvre exhumée par l’Ensemble (en résidence à Royaumont) avec l’aide d’une musicologue.

Bref, ne ratez pas la rediffusion de ce concert sur le site de la radio France Musique (francemusique.com) le 3 octobre 2012 à 20 h.

Ensemble "Correspondances".
Direction : Sébastien Daucé.

Avec :
Juliette Perret, Caroline Bardot, Violaine le Chenadec : dessus.
Lucile Richardot, Marie Pouchelon : bas-dessus.
Stephen Collardelle : haute-contre.
Davy Cornillot : taille.
Etienne Bazola, Geoffroy Heurard : basse-taille.

Abbaye royale de Royaumont © D.R.
Alice Julien Laferrière, Béatrice Linon, Louis Creac’h, Kate Goodebehere : violons.
Lucile Perret, Matthieu Bertaud : flûtes.
Diego Salamanca : théorbe.
Julien Hainsworth : basse de violon.
Laurent Dublanchet, Myriam Rignol, Pau Marcot : viole.
Sébastien Daucé : clavecin, orgue.

Programme :
(Concert entendu le samedi 1er septembre 2012)
Francesco Foggia, "Salve Regina".
Giuseppe Giamberti, "Similabo eum".
F. Foggia, "O quam Clemens".
G. Giamberti, "Veni electa mea".
Marc-Antoine Charpentier, "Famem meam qui replebit", "Motet pour Madeleine" H343, "Caecilia Virgo et Martyr" H397.
Alessandro Melani, "Litanies a 9".

>> Renseignements, programme : royaumont.com

>> Tournée, concerts : ensemblecorrespondances.com

Christine Ducq
Vendredi 7 Septembre 2012
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