Théâtre

Savoir conjurer par l'état de l'Art le mauvais état du monde

"Foi, amour, espérance", Usine Hollander, Choisy-le-Roi (94)

"Foi, amour, espérance" d’Ödon von Horváth est rarement jouée. Tout en épousant une forme de mélodrame et d’opérette proche d’un montage cinématographique, l’auteur décrit le destin d’une jeune femme qui veut travailler en toute indépendance et qu’une succession de faits (comme en une petite musique du malheur) accablent et poussent au suicide.



© Agathe Urtig Cadenel.
Dans l’Allemagne de 1932, Horvath dissèque de manière très réaliste un cas qui n’est plus vraiment prémonitoire et fait désespérer de l’espèce humaine.

Les personnages évitent toute approche altruiste qui pourraient leur nuire (pensent-ils). Pas forcément reliés à la politique, ils exécutent des ordres, appliquent sans sourciller des règlements. Isolés, tout occupés à survivre, ils sont réduits à leurs pulsions. Le désir d’humour, l’ironie et le sarcasme (autant d’échappatoires pour prendre en compte et contourner le réel) achoppent. Il faut vraiment en conscience avoir foi, amour et espérance pour survivre dans cette société et contre battre la fatalité.

Dans la proposition de Patrice Bigel, le jeu s’appuie sur des cloisonnements, des diagonales et des médianes fortes. À jardin, un mur brut coupe toute esquive ; à cour, l’espace ouvert en éventail laisse entrer la rumeur.

© Agathe Urtig Cadenel.
Comme mis en tension par les remugles des discours du dictateur et les montées en sourdine de chansons brechtiennes, comme pris dans un défi et un vertige, les comédiens ont la manière précise, directe et nerveuse, parlent en rafales, le corps bien présent. Dans les entre deux scènes, les mouvements tout en esquive esquissent comme des désirs de pas de danse.

Du lointain à l’avant- scène, le regard du spectateur glisse sans heurts. Les piliers en béton qui ponctuent la scène semblent même aimanter au lieu de séparer. Dans les mouvements et les actes, Patrice Bigel, fidèle à Horvath, affirme tout à la fois un état de désespoir (quand celui de l’espérance a disparu), affirme la tragédie et son pouvoir de stupéfaction qu’elle exerce sur les êtres et fait ressentir les battements du sensible.

Ce travail de laboratoire sait conjurer par l’état de l’Art l’état (le mauvais état) du monde, produit de la beauté et non de l’esthétisme. Du théâtre du vivant.

"Foi, amour, espérance"

© Agathe Urtig Cadenel.
Texte : Ödön von Horváth.
Traduction : Henri Christophe.
Mise en scène : Patrice Bigel.
Avec : Francis Bolela, François Chanut, Karl-Ludwig Francisco, Bettina Kühlke, Adèle Le Roux, Jean-Michel Marnet, Noémie Nael, Juliette Parmentier, William Santucci.
Scénographie, lumière : Jean-Charles Clair.
Stagiaires à la scénographie : Sacha Martin, Clément Mathis.
Musique : Hanns Eisler.
Adaptation musicale : François Chanut.
Piano : Adèle Le Roux, Noémie Nael, François Chanut.
Contrebasse : François Chanut.
Par la Cie La Rumeur.

Du 13 novembre au 13 décembre 2015.
Vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 18 h.
Usine Hollander, 1, rue du Docteur Roux, Choisy-le-Roi (94), 01 46 82 19 63.
>> compagnielarumeur.com
larumeur@compagnielarumeur.com

Jean Grapin
Mardi 1 Décembre 2015
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