Théâtre

Salvador Dali, l'éternel second de l'Art qui voulait être premier...

"Dali, Conférences imaginaires", Studio Hébertot, Paris

Catalan irrationnel, génie autoproclamé, Salvador Dalí alias Avida Dollars (1904- 1989) a fait le show sa vie durant. Porté comme bête de foire autoréalisatrice par les médias, il était son propre histrion. En génie bouillant de créativité, il installe son image comme une publicité de l'artiste vibrionnant et inclassable...



© Manuel Martin.
Une icône qui, dans la démesure, dénie tout statut d'artiste hors lui-même et Raphaël. La mise en théâtre par Christophe Gauzeran de "Dali, les conférences imaginaires" est tirée des écrits de l'artiste. Elle est proposée sous la forme d'une interview. Elle constitue une véritable gageure.

Autant le dire tout de suite, le metteur en scène et le comédien Philippe Kieffer s'en sortent haut la main. Dans la comédie, hors caricature. Sous les applaudissements. Le comédien ne pastiche jamais la forme mais, au contraire, entre dans la voix et le rythme de Dali par le souffle des phrases et le sens des mots. Époustouflant. Du coup le personnage ainsi pris en charge ne cesse de fasciner comme l'avait fait de son vivant son modèle.

Dali est bien sur scène et se livre comme en un carnet intime et ces conférences imaginaires sont proches d'un entretien, de confessions voilées.

© Manuel Martin.
Et le spectateur est étonné de découvrir dans ces jugements définitifs et excessifs sur l'Art, une manière plutôt bien plutôt bien tournée de les décrire. Sa célèbre méthode paranoïa critique se révèlerait même plutôt à la surface des choses pertinente et toujours amusante… Si Dali ne revendiquait sa faculté de mentir et si, au fil des textes tirés, n'apparaissait comme un doute, une fêlure, un aveuglement qui se manifeste chez lui de manière de plus en plus consciente et folle.

Celle d'un homme marqué à jamais par le style de Raphaël et sa madone. Canon d'une beauté jugé par lui absolue et indépassable. Dali se montre plutôt adepte d'une peinture léchée à la belle manière, attentif à la matière gracieuse de petits maîtres comme Meissonnier. Dali, dans les années trente quarante, se trouvait en porte-à-faux face à un art moderne qu'il rencontra, partagea et exécra.

Il est vrai qu'il avait croisé sur son chemin des géants et s'était heurté à eux. André Breton à la tête si politique du groupe surréaliste… Pablo Picasso, "hispano" comme lui , qu'il reconnaissait comme son seul égal et dont il regrettait, avec tristesse, que ce dernier fût un touche à tout, qui épuisait toutes les voies de l'Art en les empruntant toutes. Salvador Dali éternel second de l'Art qui voulait être premier, qui voulait revenir à la source de la beauté…El Salvador.

Très intelligemment, le spectacle ne prend pas parti dans les querelles. Il laisse courir la parole portée par l'empathie propre au théâtre et à l'art du comédien. Il présente en revanche au spectateur, en contrepoint visuel, les images et l'univers sonore composés par Christophe Tostain. Dans une approche quasiment documentariste, la vidéo suggère l'errance de l'homme plongé dans une impossible compétition avec les maîtres qui lui étaient contemporains (Mondrian, Kandinsky, Picasso).

© Manuel Martin.
La vision qui est proposée au spectateur est celle d'un homme complexe plongé très jeune, trop jeune, dans la barbarie du vingtième siècle européen, qui rêva l'amour idéal avec Gala volée à Éluard. Celle d'un homme miné par le remords d'avoir trahi la beauté et la jeunesse en la personne de Federico Garcia Lorca, le poète aimé, et fusillé par les franquistes auxquels Dali se rallia.

Sous les flashs des photographes se cachait une impuissance et des lâchetés, se déployait des noirceurs… Folie consciente d'Avida Dollars à se construire un personnage.

N.B. :
Le petit Hébertot devient Studio Hébertot et, sous l'ombre du Théâtre Hébertot (un des plus beaux théâtres à l'italienne de Paris) se dessine un centre ouvert sur la création contemporaine. "Dali, Conférences imaginaires" en est le spectacle inaugural.

"Dali, Conférences imaginaires"

© Manuel Martin.
Librement inspiré des écrits de Salvador Dali.
Texte et mise en scène : Christophe Gauzeran.
Avec : Philippe Kieffer et Christophe Gauzeran, Manuel Martin (en alternance).
Conception vidéo et univers sonore : Christophe Tostain.
Costumes : Nadia Léon.
Décor : Adrien Allessandrini.
Lumière : Pierre-Emile Soulié.
Durée : 1 h 30.
Compagnie Fahrenheit 451.

Du 29 mai au 30 Août 2015.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Studio Hébertot (ex Petit Hébertot), Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Jean Grapin
Lundi 15 Juin 2015
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