Danse

"Roméo et Juliette"... Passion tragique autant intemporelle que futuriste !

Sur une musique du compositeur russe Prokofiev et une création du chorégraphe britannique Matthew Bourne, la tragédie shakespearienne "Roméo et Juliette" bascule dans une époque très moderne, voire futuriste, avec sa scénographie et un focus particulier sur la violence dans les champs privé et institutionnel.



© Johan Persson.
Rideau sur un décor en briques blanches avec, côté jardin, une entrée avec des barreaux blancs surplombée par l'inscription "GIRLS" et, côté cour, la même entrée avec "BOYS" au-dessus. Au centre, une porte neutre et blanche. Nous sommes dans le "Verona Institute", établissement ajouté à la trame de la tragédie shakespearienne pour nous plonger dans un espace-temps qui n'est pas celui de Vérone du XVIe siècle. La scénographie avec ses murs propres, blancs et les costumes de Lez Brotherston nous plongent dans une époque très moderne, voire futuriste, où la haine entre clans familiaux est prorogée par l'institution policière jusqu'à empêcher une passion amoureuse, celle de Roméo et Juliette.

Le ballet éponyme du compositeur, pianiste et chef d'orchestre russe Sergueï Prokofiev (Sergueï Sergueïevitch Prokofiev) (1891-1953) donne à la représentation du volume tragique et une forte tension rythmique. Il est un élément essentiel à la trame qui s'y joue et est composé de trois actes. Il a été écrit en 1935 après son retour en Union soviétique.

© Johan Persson.
À l'entame de la représentation, la danse est géométrique, lui donnant un caractère froid, sans être dénuée de poésie et de grâce, avec des danseurs dont l'expressivité est furtive et presque absente. Les têtes se tournent vers le côté avec un cou en pivot, les troncs se baissent et les avant-bras jouent de mouvements de va-et-vient à hauteur de taille. Les gestuelles sont linéaires et anguleuses avec des trajectoires horizontales toujours mouvantes. Sur le plan vertical, les attitudes sont quasiment fixes avec, pour axe, la partie moyenne du corps.

Dans cette découpe à deux niveaux, la querelle familiale est symbolisée par la verticalité des corps presque statiques plantés sur leurs jambes vis-à-vis d'une passion amoureuse qui le transgresse, symbolisée par des membres supérieurs toujours en déplacement et qui s'opposent autant dans le rythme que dans la direction avec la gestique des troncs.

Est présent sur scène un policier armé d'un attirail qui ressemble plus à celui utilisé pour réprimer toute action violente qu'à rassurer et qui intervient physiquement afin, entre autres, d'enfermer Juliette. Avec cette incursion, la danse investit un champ beaucoup plus vaste qu'une violente querelle familiale et pointe aussi celui d'une société qui entre dans le champ privé des relations humaines, comme dans toute dictature.

© Johan Persson.
À l'exception des duos entre Juliette (Monique Jonas, Bryony Pennington) et Roméo (Paris Fitzpatrick, Andrew Monaghan), les danses sont essentiellement effectuées en groupe, composées de couples synchronisés avec des corps droits, oscillant, tournant ou s'abaissant.

Les mouvements deviennent parfois plus lâches, plus amples avec des membres inférieurs et supérieurs qui se glissent les uns dans les autres comme dans cette très belle séquence du balcon entre Roméo et Juliette. Cette fusion, nous la retrouvons en scène finale entre nos deux amants. La chorégraphie sous le balcon devient joyeuse, entraînante avec une gestique aérée et aérienne, les corps se touchant, se glissant l'un en appui de l'autre. Cela bascule avec les membres supérieurs de Roméo qui viennent se mettre en pivot pour que Juliette puisse être portée et être objet de bascule. Ils courent ensuite par petits pas joyeux.

Ces gestuelles sont antinomiques avec celles géométriques du début du spectacle. Entre la courbure des unes et "l'angularité" des autres se détachent au centre des danses beaucoup plus frontales et combatives. Ainsi alternent différentes ambiances portées par les chorégraphies comme baromètres de tensions et d'émotions.

© Johan Persson.
La scène finale, avec la mort de nos deux amoureux, fait écho à la scène du balcon où la première est source de vie quand la seconde est signal de mort. Le rouge sang sur leurs blouses détonne avec la blancheur immaculée que l'on retrouve essentiellement sur le plateau. Le blanc et le noir sont les deux couleurs de la scénographie, le noir représentant la violence et la mort, quand le blanc est celui de la vie et de l'amour.

L'interprétation est très belle avec une modernité et une variété chorégraphique qui donnent au spectacle une couleur audacieuse dans sa dénonciation actuelle de la violence des clans et des camps ainsi que de la modernité futuriste d'une société qui pourrait basculer, si les contrefeux numériques ne sont pas mis en place à temps, dans un mode opératoire d'investigation du champ strictement privé comme dans certaines dictatures.

"Roméo et Juliette"

© Johan Persson.
D'après la pièce de Shakespeare.
Direction artistique et chorégraphie : Matthew Bourne.
Musique : Sergueï Prokofiev.
Avec : Paris Fitzpatrick, Andrew Monaghan (Romeo), Monique Jonas, Bryony Pennington (Juliette), Danny Reubens, Richard Winsor (Tybalt).
La compagnie : Matthew Amos, Tanisha Addicott, Tasha Chu, Carla Contini, Adam Davies, Anya Ferdinand, Jackson Fisch, Cameron Flynn, Euan Garrett, Kurumi Kamayachi, Daisy May Kemp, Hannah Kremer, Kate Lyons, Rory Macleod, Blue Makwana, Leonardo McCorkindale, Eleanor McGrath, Enrique Ngbokota, Harry Ondrak-Wright, Alan Vincent.
Décors et costumes : Lez Brotherston.
Lumières : Paule Constable.
Orchestration : Terry Davies.
Création sonore : Paul Goothuis.
Associée à la direction artistique : Etta Murfitt.
Associée à la chorégraphie : Arielle Smith.
À partir de 14 ans.
Durée : 1ère partie 1 h, entracte 20 minutes, 2e partie 35 minutes.

Du 9 au 28 mars 2024.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Théâtre du Châtelet, Grande Salle, Paris 1er, 01 40 28 28 40.
>> chatelet.com

Safidin Alouache
Mardi 19 Mars 2024
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