Lyrique

"Rigoletto" ou le théâtre tragique des passions

L'Opéra national de Paris programme le quinzième opéra de Giuseppe Verdi jusqu'au 30 mai 2016 dans une lecture sobre et intelligente du metteur en scène allemand Claus Guth. Avec une distribution de haut vol et la direction experte du chef Nicola Luisotti, le drame du bouffon Rigoletto revit avec l'exaltation sombre propre au grand théâtre verdien.



© Monika Rittershaus/OnP.
"Je désire des sujets neufs, grands, beaux, variés, audacieux, avec des formes nouvelles", écrit Verdi à Cesare de Sanctis en 1853. C'est ce à quoi il s'occupe depuis 1851 en inaugurant avec le premier volet consacré au bouffon Rigoletto sa trilogie des parias, qui comprendra aussi "Le Trouvère" et "La Traviata".

Le compositeur, déjà célèbre, lit passionnément Shakespeare et Hugo. Du second, il adopte le personnage du bouffon Triboulet du "Roi s'amuse" dont l'intrigue se passe à la cour de François Ier. Triboulet deviendra Rigoletto, bouffon du Duc de Mantoue, transposition que la censure de l‘époque exige du fidèle librettiste Francesco Maria Piave, mais toujours au XVIe siècle comme leur "Ernani" de 1844 (inspiré déjà du chef de file du romantisme français).

Lumineux et ténébreux, sublime et grotesque, tragique et comique, "Rigoletto" est un mélodrame transcendé par le génie musical et théâtral de Verdi qui le compose (affirma-t-il) en quarante jours. Densité de l'inspiration, densité d'un théâtre des passions pour un trio de personnages aux contours violemment contrastés : Rigoletto, bouffon sarcastique et méchant, secrètement déchiré par l'amour qu'il porte à sa fille - la pure et candide Gilda -, doit affronter la légèreté irresponsable de son libertin de maître et une cour de courtisans venimeux.

© Monika Rittershaus/OnP.
Ayant cruellement moqué un père blessé par le déshonneur de sa fille - le Comte de Monterone - le bouffon difforme sera maudit par lui (1) et les trois actes du drame suivront l'exact déroulé de son chemin de croix dans une œuvre où tout est soumis (chant et orchestration) aux plus efficaces des situations dramatiques. Verdi réalisant ainsi une radicale révolution de l'opéra italien.

Claus Guth (2) choisit avec son dramaturge Konrad Kuhn de faire rejouer, à un Rigoletto (3) hanté par la catastrophe, dévasté et à la rue, le drame de sa crucifixion et des traumas qui en découlent. Le pauvre carton qu'il traîne devient la scène vouée aux enfers d'une éternelle malédiction nouée à la cour du Duc, se réalisant dans sa propre maison (où le tyran de Mantoue séduit sous une fausse identité sa fille) jusqu'à sa conclusion ironique et sanglante dans l'auberge borgne du spadassin Sparafucile. La vidéo poétique de A. Müller, illustrant les souvenirs heureux de la vie du bouffon avec sa femme et sa petite fille, intervenant parfois pour nous extraire de la prison mentale étouffante dans laquelle nous sommes plongés avec les personnages.

© Monika Rittershaus/OnP.
Une production à la hauteur des enjeux de l'opéra verdien bien servie aussi par une troupe de chanteurs au sommet : la direction d'acteur au cordeau du metteur en scène allemand dessine admirablement ces caractères extrêmes, mais aussi quelles performances ! Le baryton Quinn Kelsey est un Rigoletto abyssal et impressionnant, un bloc de minéralité que la souffrance et l'amertume brisent net. La Gilda d'Olga Peretyatko réunit les moyens vocaux d'une soprano dramatique à la plus expressive virtuosité. L'innocence du personnage s'enrichit de tout le piquant de la soprano russe au fier caractère.

Michael Fabiano est un Duc de Mantoue parfait. Il n'a pas que le physique du rôle mais aussi sa faconde, avec une puissance et une séduction vocales évidentes (Il parvient même à faire oublier ses imposants prédécesseurs). Entre deux rails de coke et trois galipettes, ce nouveau James Dean est un agent du destin d'une telle inconscience qu'on ne saurait le détester. Il faudrait par ailleurs citer toute la distribution d'un réel talent pour ce spectacle marquant.

(1) Le premier titre de l'opéra était "La Malédiction".
(2) Avec trente de carrière et peu d'invitations en France jusqu'à ce jour, Claus Guth effectue ses débuts à l'Opéra de Paris où il reviendra en 2017 monter "Lohengrin".
(3) Le personnage est dédoublé entre un comédien et le chanteur Quinn Kelsey.

© Monika Rittershaus/OnP.
Spectacle vu le 11 avril 2016.

Opéra retransmis en direct au cinéma le 26 avril 2016.
Sur le site de Culturebox à partir du 28 avril 2016.
Retransmis en différé sur France Musique le 28 mai 2016.

Du 9 avril au 30 mai 2016.
Opéra national de Paris, place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr

"Rigoletto" (1851).
Drame en trois actes.
Musique de Giuseppe Verdi (1813-1901).
Livret de Francesco Maria Piave.
En italien surtitré en français et en anglais.
Durée : 2 h 45 avec un entracte.

© Monika Rittershaus/OnP.
Nicola Luisotti, Pier Giorgio Morandi (du 14 au 30 mai), direction musicale.
Claus Guth, mise en scène.
Christian Schmidt, décors et costumes.
Olaf Winter, lumières.
Andi A. Müller, vidéo.
Teresa Rotemberg, chorégraphie.

Michael Fabiano (11, 14, 17, 23, 26 avril, 2 et 5 mai), Francesco Demuro (20, 28 avril, 10, 14, 16, 21, 24, 27 et 30 mai), Le Duc de Mantoue.
Quinn Kelsey (11, 14, 17, 23, 26 avril, 2, 5, 10, 16 et 24 mai), Franco Vassallo (20, 28 avril, 7, 14, 21, 27 et 30 mai), Rigoletto.
Olga Peretyatko (11, 14, 17, 23, 26 avril, 2, 5, 10, 16 et 24 mai), Irina Lungu (20, 28 avril, 7, 14, 21, 27 et 30 mai), Gilda.
Rafal Siwek (11, 14, 17, 23, 26 avril, 2, 5, 10, 16 et 24 mai), Andrea Mastroni (20, 28 avril, 7, 14, 21, 27 et 30 mai), Sparafucile.
Vesselina Kasarova, Maddalena.
Isabelle Druet, Giovanna.
Mikhail Kolelishvilli, Le Comte de Monterone.
Michal Partyka, Marullo.
Christophe Berry, Matteo Borsa.
Tiago Matos, Le Comte de Ceprano.
Andreea Soare, La Comtesse.
Adriana Gonzalez, Le Page de la Duchesse.
Florent Mbia, Usciere di Corte.
Henri Bernard Guizirian (11, 14, 17, 23, 26 avril, 2, 5, 10, 16 et 24 mai), Pascal Lifschutz (20, 28 avril, 7, 14, 21, 27 et 30 mai), Double de Rigoletto.

Chœurs et Orchestre de l'Opéra de Paris.
José Luis Basso, chef des chœurs.

Christine Ducq
Lundi 18 Avril 2016
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