Théâtre

Quand les héros du Far West incarnaient une violente mais souveraine liberté

"Calamity/Billy, un diptyque du paradis perdu", En tournée

Le diptyque "Calamity/Billy" est halé comme le Far West, son titre sonne comme un nom du Far West… et c'est bien le Far West… mais sans règlements de comptes à O.K. Corral, sans bagarres de saloon, même si les deux principaux protagonistes avaient la réputation de régler leurs problèmes ou leurs différents de manière expéditive, pour Billy the Kid, ou du moins musclée pour Calamity Jane. Une partition à deux voix pour deux figures mythiques du grand ouest…



© Bruno Amsellem/Divergence.
Et qui dit mythes, dit légendes... et pose la question de la part de réalité (de vérité) dans les récits de ces deux personnages emblématiques de la conquête du grand ouest sauvage où la violence fut quasiment - et le maniement des armes à feu - érigée en loi primaire pour le règlement des conflits personnels... Cela semble d'ailleurs ne pas avoir beaucoup changé dans l'Amérique de Trump !

Jean Lacornerie, concepteur et metteur en scène de cette création (accompagné de Gérard Lecointe à la direction musicale), prend immédiatement le parti de s'appuyer sur l'imaginaire populaire en reprenant un précédent travail fait sur Calamity Jane basé sur les "Lettres à ma fille" attribuées à Jean McCormick, réputées depuis quelques années déjà comme étant fausses mais révélatrices de ce qu'aurait pu être cette femme à la virilité affirmée et porteuses de témoignages historiques cohérents avec ce qu'était l'ouest américain à la fin du XIXe siècle*.

Pour Billy, c'est le livre "The Collected Works of Billy the Kid" de Michael Ondaatje (adapté de "His Legend a Jungle Sleep") - qui rassemble des témoignages, des articles de journaux, des photos et des poèmes hallucinés - que Jean Lacornerie a choisi. Les deux textes sélectionnés ont la singularité de donner une image intimiste de ces deux personnages, presque confidentielle, avec un étonnant apport de féminité pour la femme phallique défiant les pionniers masculins du Wild West et un brin d'humanité et de poésie au meurtrier, homme-enfant, qu'était The Kid.

© Bruno Amsellem/Divergence.
Pour le deuxième acte consacré à Billy, le livre d'Ondaatje étant très visuel, la projection des magnifiques dessins réalisés en direct par Stefan Zimmerli - notamment les paysages surprenant par la finesse du trait et leur réalisme quasi-documentaire - insuffle un calme et une poétique intemporalité au récit chanté par un surprenant et doué Bertrand Belin... qui apporte les notes de blues et le rythme indispensables à la partition un rien nostalgique. La musique créée spécialement pour cette seconde partie par Gavin Bryars navigue entre musique contemporaine et jazz, avec souvent des envolées pleines de légèreté et des séquences répétitives propre à la musique post-minimaliste.

Sa composition musicale entre en résonance avec celle écrite par Ben Johnston lors de la création originelle de Calamity, faisant ici office de premier acte. Ce dernier a écrit pour servir la tessiture d'une voix soprano et les différents chants interprétés par Claron McFadden alternent entre lyrismes dans l'expression de la révolte et des sommets plus aigus dans les confrontations, les défis. La soprano new-yorkaise, habituée tant au baroque qu'au contemporain, assure avec talent aussi bien le répertoire aux accents mélancoliques des "lettres de Calamity" que celui plus enlevé des poèmes de Billy aux côtés de Bertrand Belin, celle-ci pouvant aller avec une certaine fluidité vers un timbre plus sombre, voire volumineux dans les médiums.

© Bruno Amsellem/Divergence.
Les deux compositeurs ont la chance d'avoir, pour interpréter leur musique, l'excellent ensemble des Percussions Claviers de Lyon composé d'instrumentistes de haut niveau, qui est pour ce spectacle augmenté du violoniste Lyonel Schmit. La partition est jouée en direct, les musiciens étant répartis de part et d'autre du plateau générant ainsi un accord parfait entre chanteurs et musiciens, appuyé par une orchestration inventive, limpide où les accents harmoniques contemporains côtoient les accords de blues.

Au final, même si tous les textes sont en anglais, ce qui rend parfois l'histoire un peu difficile à suivre du fait de la concentration nécessaire pour suivre les sous-titres en français, "Calamity/Billy, un diptyque du paradis perdu" est une manière inattendue mais réussie d'opéra du Far West pour deux chanteurs lyriques (ou pas !)... L'expression artistique de la nostalgie d'une époque où les héros du folklore américain incarnaient une liberté que nous pensons avoir perdue.

Création le 6 mars 2018 au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. Vu le 9 mars au Théâtre de la Renaissance à Oullins (69).

* Calamity Jane (Martha Jane Cannary), 1852 - 1903 ; Billy the Kid (William Henry McCarty), 1859 - 1881. Dates et noms d'état civil présumés.

"Calamity/Billy, un diptyque du paradis perdu"

© Bruno Amsellem/Divergence.
Théâtre musical. À partir de 14 ans.
En français et en anglais surtitré.
1re partie : "Calamity Jane, lettres à sa fille".
Musique : Ben Johnston (Éditions Smith Publications).
Texte attribué à Jean McCormick.
2e partie : "Billy the Kid, œuvres complètes" (création).
Traduction française : Michel Lederer (paru aux Éditions de l’Olivier et Points).
Musique : Gavin Bryars (Éditions Schott).
Texte : Michael Ondaatje.
Commande musicale du Théâtre de la Croix-Rousse et du Théâtre de La Renaissance Lyon-Métropole).
Direction musicale : Gérard Lecointe.
Mise en scène : Jean Lacornerie.
Scénographie : Marc Lainé et Stephan Zimmerli.

© Bruno Amsellem/Divergence.
Chorégraphie : Raphaël Cottin.
Création lumière : David Debrinay.
Images : Stephan Zimmerli.
Costumes : Marion Benages.
Chanteurs : Claron McFadden et Bertrand Belin.
Orchestre : Les Percussions Claviers de Lyon.
Avec : Gérard Lecointe (vibraphone), Gilles Dumoulin (marimba), Jérémy Daillet (marimba), Sylvie Aubelle (marimba basse), Raphaël Aggery (claviers) ; et Lyonel Schmit (violon).
Durée : 1 h 45 environ.
"Calamity Jane, lettres à sa fille" : 20 min.
"Billy the Kid, œuvres complètes" : 1 h 15.
Production Théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), Théâtre de La Renaissance (Oullins Lyon-Métropole), Muziektheater Transparant (Anvers).

Tournée

© Bruno Amsellem/Divergence.
13 et 14 mars 2018 : Espace Malraux (Théâtre Dullin), Chambéry (74).
16 mars 2018 : Le Granit, Belfort (90).
20 et 21 mars 2018 : MCB° (Auditorium), Bourges (18).
23 mars 2018 : La Rampe, Échirolles (38).
24 mars 2018 : Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon (42).
27 mars 2018 : Forum Meyrin, Meyrin (Genève).
30 mars 2018 : Théâtre, Saint Quentin en Yvelines (78).
28 avril 2018 : Concertgebouw, Bruges (Belgique).
25 mai 2018 : Operadagen, Rotterdam (Hollande).
5 juillet 2018 : Armel Opera Festival, Budapest (Hongrie).

Gil Chauveau
Vendredi 30 Mars 2018
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