Théâtre

Quand Caravaggio nous est conté… la beauté fait rage !

Reprise 2013, "Moi, Caravage", Théâtre de la Gaîté Montparnasse, Paris

Lorsqu'une pièce rencontre son public, on a la chance de la voir reprise et prolongée. C’est le cas de "Moi, Caravage", une des réussites d’Avignon 2010, écrite et en partie interprétée par Cesare Capitani, dans le rôle-titre du célèbre peintre italien Michelangelo Merisi da Caravaggio (dit Caravage).



Cesare Capitani et Laetitia Favart © B.Cruveiller.
A priori, la pièce n’avait pas tous les ingrédients pour soulever un tel enthousiasme. Ni décor, ni machinerie, une mise en scène réduite à son strict minimum : deux comédiens, un texte et une mise en lumière. Et c’est à peine s’il s’établit un dialogue entre les deux interprètes. Long soliloque (ou long monologue, au choix, ce n’est qu’une question de point de vue), le texte est essentiellement construit sous forme de narration, celle d’une vie poignante et passionnante, mais bien trop courte.

Si le plateau est rendu à sa plus simple expression, le jeu habile des lumières de Bernard Martinelli enserre les comédiens, baignés tour à tour par la noirceur des démons ou par l’aura des anges. Mais au-delà du bel hommage rendu aux fameux clairs-obscurs du peintre, les contrastes, loin de s’estomper, révèlent l’ange perfide ou le démon loyal qui habitent chacun de ses tableaux. Comme sa vie, l’œuvre de Caravaggio est dénuée de tout jugement moral, c’est ce qui fait (entre autres) la puissance et la modernité de son œuvre. Et avoir compris cela force déjà le respect du critique.

Cesare Capitani © B.Cruveiller.
Mieux. Toute la sensualité brutale - voire bestiale, devrions-nous ajouter - des tableaux du grand maître est mise dans les voix et dans les corps de deux comédiens. Cesare Capitani et Laetitia Favart forment un duo qui démontre avec brio le jeu si difficile de l’équilibre des contraires. En effet, avec l’aide de Nita Klein à la direction d’acteurs, une des réussites de la pièce est d’avoir aussi choisi de construire les personnages tout en contraste. Ils forment une sorte de diptyque dont le jeu oscille entre le parlé et le chanté. Ils font corps avec la puissance érotique de l’artiste et de sa peinture qu’ils embrassent (ou embrasent) avec force.

Un texte qui nous étonne par sa simplicité, mais qui entonne superbement la vie et l’œuvre de l'artiste. La posture androgyne de la mezzo soprano Laetitia Favart participe largement de l’esthétique paradoxale caravagienne (intelligemment rendue par le texte et la mise en scène) des éléments contraires qui se transcendent tantôt dans une voix quasi cristalline tantôt dans une voix quasi gutturale. Et Cesare Capitani a su de même, tant avec sa plume, qu’avec son jeu, en restituer les lignes de force. Tout nous laisse croire aussi qu’on est revenu 400 ans en arrière dans une Italie aussi lumineuse que sombre et inquisitrice. Soulignons au passage que c’est aussi une belle adaptation de la biographie romancée (La Course à l’abîme) de Dominique Fernandez dont il s’est largement inspiré.

Certes, il s’agit du grand Caravage, mais le sujet ne peut tout à fait expliquer le succès du spectacle. Un peintre que l’on croise dans les salles de Louvre fait-il encore recette au XXIe siècle ? Il faut croire que oui. Jeunes et vieux avancent coude à coude et se bousculent pour prendre place dans la petite salle du Lucernaire.

Le succès largement mérité va donc au-delà de son sujet. Comment d'ailleurs ne pas reconnaître la Beauté quand elle se présente ? Elle devient ici évidente quand elle est à ce point incarnée. Non, l’art n’est pas dévoyé. Oui, l’art est. Que Moi, Caravage fasse salle comble encore longtemps…

"Moi, Caravage"

Cesare Capitani et Laetitia Favart © B.Cruveiller.
(Vu le 17 février 2012)

Texte : Cesare Capitani.
D'après le roman de Dominique Fernandez, "La Course à l'abîme", paru aux éditions Grasset.
Mise en scène : Stanislas Grassian.
Direction d'acteurs : Nita Klein.
Avec : Laetitia Favart ou Manon Leroy et Cesare Capitani.
Costumes : Evelynes Guillin.
Lumières : Dorothée Lebrun.
Compagnie Prisma.
Durée : 1 h 15.

Reprise du 11 janvier au 12 mars 2017.
Du mardi au samedi à 18 h 30 et dimanche à 16 h.
En italien le mardi.
Théâtre du Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Article créé le jeudi 23 Février 2012.

Sheila Louinet
Lundi 9 Janvier 2017
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