Lyrique

"Pop’pea" au Châtelet, c'est Monteverdi violé par Lady Gaga ?

Sentiments mitigés en sortant de "Pop’pea", cet opéra "barock". Un drôle de spectacle qui se veut hybride : d’un opéra du XVIIe siècle de Claudio Monteverdi, Ian Burton le dramaturge et Michael Torke le compositeur ont créé une œuvre qui prétend sonner inouïe, transgenre, pop rock hip hop, et plus si affinités. À l’arrivée, c’est un bon vieux musical tout droit échappé de Broadway.



© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Ce spectacle narrant les amours scandaleuses de la rock star Néron et de la dangereuse Poppée dans une Rome façon tournée de concerts a été annoncé avec des moyens colossaux : énormes affiches à Paris, blog sur internet, etc, créant un buzz et une attente - toujours casse-gueule finalement. Nous-même l’annoncions ici avec gourmandise : quel projet ! Quelle affiche ! Qu’en est-il vraiment ?

Les amateurs de musique classique n’étant pas le cœur de cible du projet, pas de déception de ce côté. Non. La déception vient plutôt de la prétendue nouveauté de la musique et des lyrics. Avec des artistes tels Carl Barât, Benjamin Biolay - qu’on adore - avec le batteur des Clash, Peter Howard, le spectateur s’attend logiquement à une soirée qui - nous assurait-on - allait mettre le feu au Châtelet et à l’opéra.

Ben non. Monteverdi : 1 Torke : 0. J’ai eu l’impression d’assister à une énième comédie musicale, et hormis l’intro et l’épilogue - qui mettent le feu oui mais pour 10 minutes en tout et pour tout ! Ça ne décolle jamais. C’est peu dire que les amateurs de pop et de rock n’ont guère été enthousiasmés non plus. Et puis un mauvais réglage son - revu peut-être dès le lendemain - nous assure un cassage d’oreilles en règle.

© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
À la sortie, deux clans : ceux qui adorent - comme ma compagne de soirée, la grande critique pop C. R. - et ceux qui s’ennuient ferme, surtout après la première partie. Soyons honnête, la deuxième est meilleure, en ironie et autodérision aussi. Pas de palme pour Messieurs Torke, Howard et Max la Villa, le guitariste. Je sais, c’est dur.

Mais un point sur lequel nous tombons tous d’accord : la géniale inventivité de la mise en scène due à Giorgio Barberio Corsetti, au jeune vidéaste Pierrick Sorin, aux costumes fun de Nicola Formichetti, avec une mention pour les lumières de Marco Giusti. Si les tableaux se succèdent un peu laborieusement - calage insuffisant lors des répétitions ? - avec de signalées chutes de tensions et ce, malgré l’énergie des artistes pour les changements de décor, certaines scènes sont vraiment brillantes.

© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Qu’on pense au concert donné par la star Carl Barât-Néron - qui a su petit à petit libérer son énergie destroy après des débuts guère convaincants. Qu’on pense à l’épisode "péplum" irrésistible, quand tous les chanteurs réalisent en direct la post-synchronisation de leur scène, filmée à l’ancienne et en costumes, et projetée au-dessus de leurs têtes. La mort de Sénèque, topos obligé, ne manque pas de grandeur, si on veut bien excuser la piètre interprétation de Mark Almond, ex soft Cell qui ne sait plus chanter.

J’ai trouvé Benjamin Biolay peu à son avantage entre une diction anglaise hésitante et un embarras très apparent quant à l’occupation de l’espace scénique. Être chanteur ou comédien de cinéma, ce n’est pas forcément avoir le charisme d’un acteur de théâtre - on le constate amèrement sur toutes les planches. Pourtant, c’est bien lui ce personnage de crooner mélancolique, sexy et cuir. Valérie Gabail-Poppée assure avec sa jolie voix venue de l’opéra baroque, et ne perd rien à sa transplantation in vivo. Cependant on attendait une garce d’anthologie, et on a eu une sorte de fantasme queer de Lady Gaga. Frederika Stahl, en Octavie, peine à nous toucher, malgré son chant de cristal. La faute sans doute à sa partition. Elle est charmante mais on s’ennuie un peu.

Les musiciens installés de chaque côté de la scène en avancée font le job ; avec du génie dans la composition musicale, c’eût été néronesque ! Bon, vous l’avez compris : j’aurais adoré adorer cette production. Mais la comédie musicale - même hype - c’est pas mon truc. Féerie ? Ce sera pour une autre fois…

"Pop'pea"

© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Un opéra vidéo-pop d’après "L'incoronazione di Poppea" de Claudio Monteverdi.
Adaptation musicale : Michael Torke.
Orchestration : Peter Howard et Max La Villa.
Livret & lyrics : Ian Burton.
Direction musicale : Peter Howard.
Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin.
Scénographie - vidéo : Pierrick Sorin.
Costumes : Nicola Formichetti.
Lumières : Marco Giusti.
Avec : Valérie Gabail (Poppea), Carl Barât (Nero), Benjamin Biolay (Ottone), Marc Almond (Seneca), Fredrika Stahl (Ottavia), Anna Madison (Drusilla), Joel O’Cangha (Lucano), Achilles ‘AC’Charrington (Soldier 1), Marcus ‘Matic Mouth' Smith (Soldier 2).
Musiciens : Peter Howard (Batterie), Max La Villa (Guitares), Gareth ‘Gaz’ Williams (Basse), Chris McComish (Percussions), Angie Pollock et William Drake (Claviers).

Spectacle du 29 mai au 7 juin 2012.
Mardi (29 et 5), mercredi (30), jeudi (31 et 7), samedi (2) à 20 h.
Dimanche 3 juin à 16 h.
Théâtre du Châtelet, Paris 1er, 01 40 28 28 40.
>> chatelet-theatre.com

Christine Ducq
Jeudi 31 Mai 2012
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