Théâtre

Podalydès découpe Jekyll au scalpel

Nous ne l’avions pas vu la saison dernière. L’erreur est réparée. Jusqu’au 21 mai au Théâtre National de Chaillot (puis en tournée), "Le Cas Jekyll", joué et co-mis en scène par Denis Podalydès, est du grand, du très grand théâtre. Un seul en scène superbe par un acteur aux multiples visages.



Le Cas Jekyll © Elisabeth Carecchio
Trouble de la personnalité, dédoublement, part sombre de l’humain. Podalydès ne va pas seulement explorer la transformation inquiétante du célèbre Docteur Jekyll, il dévoile aussi un fantasme, celui du "comédien désincarné" (comme disait Jouvet) qui pousse jusque dans ses retranchements l’observation de "l’étrange animal" qu’est précisément… le comédien. Il traque son personnage, l’appelle de toute sa puissance, le regarde, se lie, s’unit à lui dans un rapport d’amour et de haine, jusqu’à en faire un tout. C’est cela Jekyll et Hyde, deux entités devenues indissociables. C’est cela aussi être comédien ou être son personnage, dans la maîtrise la plus absolue et la plus aboutie qui soit. Denis Podalydès a raison : qui ne rêverait pas de jouer un tel rôle ? Cette expérience aurait pu faire un chapitre de Scènes de la vie d’acteurs (paru aux éditions Seuil en 2006).

Sur une adaptation de Christine Montalbetti, d’après le roman original de Robert-Louis Stevenson (The Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde), le texte fait l’effet d’un glas. Il incise avec une précision de chirurgien la langue de l’auteur victorien, "coupe dans l’hétérogène" les contours effrayants et hideux du personnage, hache sans vergogne sa part d’humanité pour rendre avec une crudité monstrueuse la "dualité primitive de l’homme". Dans "le petit théâtre de ce moi alternatif", la bête attire autant qu’elle repousse. En même temps qu’elle gagne son combat, elle emporte avec elle l’adhésion du spectateur, captivé par l’ombre obsédante de sa représentation.

Le Cas Jekyll © Elisabeth Carecchio
À peine suggéré par le corps, tout en finesse dans le mouvement et dans la voix, Jekyll avance pas à pas vers Hyde. Le déplacement pourrait presque être celui d’une caméra, qui découpe avec un œil de lynx, image par image, chaque nouvelle étape de la transformation. Pèse sur le plateau le regard minutieux et attentif de l’acteur-metteur en scène Podalydès, mais aussi de ses deux acolytes de renom Emmanuel Bourdieu et Éric Ruf. Depuis les expressions du visage jusque dans la gestuelle, Hyde est une lente possession de Jekyll. Les sursauts d’une main poilue d’abord qui prend peu à peu le contrôle, arrache, enlève, assomme, tue, puis entraîne le reste du corps dans sa chute. Un tourbillon de mots et de cris recouverts par une musique ahurissante de beauté, entraîne la bête immonde dans son ballet d’horreurs. Danse superbe et effrayante du "matamore" dans l’arène face à la bête, face à lui-même.

Moitié ombre moitié lumière, le corps de Jekyll est tailladé jusque dans l’éclairage et la scénographie. Morcelé, il passe de l’un à l’autre jusqu’à ce que le "fog" londonien domine définitivement. Le fond de la scène est vertigineux de hauteur, il donne la mesure d’une ville labyrinthique et mystérieuse, aux quartiers peu rassurants. Il est en tout cas à l’image de son personnage, monstrueux et démesuré.

Le Cas Jekyll © Elisabeth Carecchio
Mais en s’insinuant, cette emprise est aussi celle d’une "dépossession", celle du comédien dans toute la maîtrise de son art. Dans ce jeu d’équilibriste déséquilibré, à la fin de la pièce, Podalydès n’est plus. Hyde a pris ici le dessus. N’est-ce pas le plus beau compliment que l’on puisse faire ? Gageons que sa prochaine adaptation du "petit Nicolas" soit du même tonneau. Nous attendons sa sortie* avec impatience.


* Le film, La Conquête de Xavier Durringer, sortie en salle le 18 mai 2011.

Le Cas Jekyll

Le Cas Jekyll © Elisabeth Carecchio
(Vu le 11 mai 2011)
Texte : Christine Montalbetti d’après l’œuvre de Robert-Louis Stevenson, The Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde.
Mise en scène : Denis Podalydès.
Co-mise en scène : Emmanuel Bourdieu et Éric Ruf.
Scénographie : Éric Ruf.
Assisté de : Delphine Sainte-Marie.
Costumes : Christian Lacroix.
Avec la collaboration de : Renato Bianchi.
Conseils chorégraphiques : Cécile Bon.
Lumière : Stéphanie Daniel.
Son : Bernard Valléry.
Avec : Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie Française.

Du 10 mars au 21 mai 2011 à 20 h 30.
Relâche et dimanche et lundi.
Attention, la représentation du 18 mai 2011 est reportée au 21 mai 2011 à 16 h.
Théâtre National de Chaillot
Renseignements : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

En tournée

● Du 7 au 9 juin 2011 à la Maison de la Culture d'Amiens (80).

● 14 février 2012, Salmanazar, Épernay (51).

● 17 et 18 février 2012, Châteauvallon, Ollioules (83).

● 21 au 25 février 2012, La Criée, Marseille (13).

● 28 février au 3 mars 2012, Scène Nationale de Sète (34).

● 6 mars 2012, Théâtre Municipal de Cahors (46).

● 10 mars 2012, Le Carré, Sainte-Maxime (83).

● 13 et 14 mars 2012, L'Hexagone, Meylan (38).

● 19 et 20 mars 2012, Le Fanal, Saint-Nazaire (44).

● 23 et 24 mars 2012, Théâtre Municipal de Montargis (45).

● 27 mars 2012, Centre Culturel, Sablé-sur-Sarthe (72).

● 31 mars et 1er avril 2012, Théâtre Municipal, Vincennes (94).

● 4 avril 2012, Espace 1789, Saint-Ouen (95).

Sheila Louinet
Samedi 14 Mai 2011
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