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Phénix Festival Avec "Le Mardi à Monoprix", le rire éclot de la banalité

Rien n'est plus délicatement corrosif que l'humour niché dans le quotidien. C'est l'alchimie à laquelle parvient Thierry de Pina avec le texte d'Emmanuel Darley. Un texte qui raconte un état, l'état d'un instant suspendu entre vide et culpabilité, entre manque et perdition, entre amour et haine. L'histoire du "Mardi à Monoprix" est celle d'un rituel familial, d'une recherche de contact, de reconnaissance. Cette soif inextinguible de reconnaissance que notre part d'enfance réclame à ses parents. Un coup à se fiche l'air lorsque le regard du père sur le fils n'est pas.



© Marine Cessat-Begler.
Il est dit que les enfants sont rarement tels que les parents les rêvaient. À l'inverse, les parents sont aussi rarement ceux dont rêvent les enfants. Marché de dupes, mais marché vital, essentiel, quête impossible, mais toujours renouvelée du regard de l'un sur l'autre, car à la fin, il faut bien casser le rêve de l'autre pour exister.

Le mardi, tous les mardis, Marie-Pierre se rend chez son vieux père et passe la journée avec lui. Elle fait ce que faisait sa mère pour cet homme fatigué. Elle fait son ménage, sa lessive, son repassage, sa lessive, ses courses, au Monoprix. Elle s'habille bien, une jolie robe, des talons hauts, un peu de maquillage pour sortir avec lui faire les courses à Monoprix. Elle cherche à alléger sa vie à ce vieux père devenu solitaire, elle cherche aussi un peu de reconnaissance, un peu d'affection, au moins un regard. Mais celui-ci ne la regarde pas, ne la voit pas, ne l'appelle même pas par son prénom. Il l'appelle Jean-Pierre. Il est vrai, c'est le nom qu'ils lui avaient donné à sa naissance.

© Marine Cessat-Begler.
Mais Jean-Pierre est devenu Marie-Pierre. En vérité, à l'intérieur, il s'était toujours senti femme. Maintenant, il a décidé de vivre cette réalité. Et l'on assiste au refus têtu, humiliant, de ce père pour la nouvelle identité de Marie-Pierre. Même constat pour les regards, les mots, les sous-entendus des passants, des voisinages, des clients et des employés du supermarché, mais, de cela, elle fait mine de s'amuser. Toute cette bordée de fiel qu'elle déclenche tous les mardis, chaque fois qu'elle vient s'occuper de son père…

Le texte d'Emmanuel Darley passe par la fiction douce pour évoquer cette question très à la mode du genre et c'est un bonheur de passer par l'émotion, la pudeur et la délicatesse pour évoquer ce déni. L'écriture est simple, mais concise, expressive, imagée. Elle privilégie les silences, les non-dits, les petites blessures qu'on voit à peine saigner. Elle met en scène un monologue qui est en fait un dialogue avec un personnage enfoncé dans son silence, son refus. C'est un drame doux et touchant que vivent ces deux personnages presque ordinaires, des antihéros dans lesquels on s'identifie facilement.

Thierry de Pina qui interprète et met en scène le personnage de Marie-Pierre nous offre une multitude de jeux, d'expressions et de dérisions violentes. Il crée un personnage de grand caractère sans jamais tomber dans l'excès facile que le transgenre ou la transsexualité peut engendrer. Aucune caricature, aucune vulgarité ne traverse son interprétation, mais un sens comique certain et un sens tragique égal. L'incarnation qu'il propose est si vivante et possède tant de facettes qu'on ne voit pas le spectacle passer. Et l'on se sent proche de ce personnage, car il ne tente jamais d'aller dans l'outrance artificielle des travestis, au contraire, tout est banal, tout est ordinaire dans cette journée de mardi et c'est cette banalité, cet ordinaire qui en fait toute la beauté, étrangement.

"Le Mardi à Monoprix"

© Marine Cessat-Begler.
Texte : Emmanuel Darley, (édité chez Actes Sud-papier, septembre 2009).
Adaptation, mise en scène : Jeu : Thierry de Pina.
Jeu : Thierry de Pina.
Création lumière : Julien Musquin
Univers sonore : David Mus et Emma Catlin.
Costume : Jean-Paul Gaultier by Glenn Martens.
Regards extérieurs : Isabelle Bondiau-Moinet, Sylvie Dutheil, Carole Scotto Di Fasano, Isabelle Tosi.
Production : Ah le Zèbre !
Durée 1 h.

Phénix Festival
30 mai, 10 et 17 juin 2023.
Mardi à 19 h.
La Nouvelle Seine, quai de Montebello, Paris 5e, 01 43 54 08 08.
>> lanouvelleseine.com

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 10 h. Relâche le lundi.
BA Théâtre (ex Sham's Théâtre), 25, rue Saint-Jean-le-Vieux, Place Pie, Avignon.
Réservations : 04 65 87 54 40.

Bruno Fougniès
Vendredi 2 Juin 2023
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